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UN AMOUREUX

rent le plus souvent anonymes. Que représentent aujourd’hui, sauf pour de bien rares piétés, les noms d’un Rinn et d’un abbé Noirot, et, plus près de nous, d’un Aubert-Hix, d’un Merlet, d’un Charles ? M. Victor Ferrand appartenait à cette élite, et de là son amitié pour Jean ; Avant d’être nommé à Henri-IV, il avait été suppléant à Louis-le-Grand, où le jeune homme achevait ses études. Il l’avait eu comme élève. Il s’était intéressé à cette nature distinguée et que certaines circonstances de désaccord intime avec son milieu rendaient pathétique. C’était l’époque où la femme du professeur de philosophie venait de mourir. Vivant seul avec sa fille cadette, il n’avait peut-être pas eu, sur les rapports possibles entre ce disciple favori et cette fille, les prudentes appréhensions qu’aurait eues une mère. Peut-être aussi son affection pour Jean lavait-elle induit à fermer les yeux sur un sentiment naissant qu’il avait vu Brigitte partager, avec la joie profonde d’un père qui, dans ses rêves, s’est souhaité pour gendre celui même que sa fille a choisi. Un autre motif, et justement celui qui semblait devoir faire obstacle à cette union, la lui rendait, au contraire, plus désirable. On a compris qu’il s’agit de la religion. Quoique le strict respect du devoir professionnel eût toujours empêché M, Ferrand de transformer son cours de philosophie en un instrument de propagande, ses convictions catholiques étaient trop connues, elles tenaient par des liens trop serrés à l’ensemble de ses idées