Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
L’ETAPE

pour que certains de ses élèves ne fussent pas tentés de l’interroger. Même aujourd’hui, le préjugé, perfidement mis à la mode au dix-huitième siècle, demeure si vivace, l’antinomie entre la croyance et la raison est si généralement admise, que la coexistence, dans un grand esprit, de la haute culture et de la foi, déconcerte comme une anomalie paradoxale. Jean Monneron, en particulier, avait dû être plus étonné qu’un autre d’une attitude intellectuelle qui contredisait si violemment les théories acceptées, respirées plutôt dans l’atmosphère paternelle. Notez que M. Ferrand n’est pas seulement traditionnaliste en religion. Il l’est aussi en politique et ne parle de la Révolution qu’en employant la formule de Le Play sur les « faux dogmes de 89 ». La curiosité passionnée, excitée chez Jean par la rencontre d’idées si différentes des siennes, ses hardies questions, son ardeur à forcer la réponse, toute cette fièvre communicative d’une jeune conscience qui se cherche, avaient entraîné Ferrand à des discussions dont il s’était d’abord fait scrupule. Puis, ces débats l’avaient intéressé autant et plus que son élève. Il s’était créé entre ces deux pensées une de ces relations presque impossibles à définir, car elles n’ont guère d’analogue. L’intelligence de chacun était devenue pour l’autre un champ d’action presque nécessaire. Les allées et venues du souple esprit du jeune homme, ses abandons et ses reprises, ses concessions et ses dérobements avaient fini par donner à leurs