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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/231

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LES FRÈRES ET LA SŒUR

referma, et elle lui dit de sa voix, toujours un peu basse :

— « Qu’y a-t-il ? Je t’ai entendu rentrer vers minuit, puis des portes s’ouvrir, se refermer, se rouvrir, puis des voix… Jean et toi, vous m’avez empêchée de dormir, et maintenant, que me veux-tu ?… »

Son joli visage, qui pouvait se faire si maussade, exprimait à cet instant une impatience plus douloureuse encore qu’irritée, comme celle d’un être qui souffre et qu’une contrariété vient harceler soudain dans sa peine. Ses traits délicats étaient durcis dans leur pâleur par le rouge intense de son peignoir de flanelle, lequel n’avait rien de commun avec les souples tuniques parfumées et fanfreluchées de la demoiselle de la rue de Longchamp. La lourde natte de ses cheveux noirs s’enroulait autour de son cou trop maigre, et elle mordait nerveusement, de la pointe de ses dents, petites et blanches, le bout de son porte-plume, sans même regarder son frère. Celui-ci s’était laissé tomber sur une chaise, dans une attitude accablée, savant prologue de la nouvelle comédie qu’il se préparait à jouer. Il se taisait, et ce silence était si extraordinaire, combiné avec le caractère non moins extraordinaire de cette visite à cette heure, que la jeune fille dut enfin s’en étonner. Elle tourna vers Antoine, avec une curiosité grandissante, ses yeux noirs où passait une inquiétude, et elle répéta sa question de tout à l’heure, d’une voix émue à présent, tant