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L’ETAPE

mat était d’autant plus saisissant qu’il contrastait fortement avec la noirceur des cheveux et de la barbe, où des fils d’argent commençaient à peine de courir. Il y avait, dans ce masque un peu lourd, aux traits fins, presque ténus, de la puissance et de la subtilité. L’ensemble rappelait vaguement le célèbre portrait des Offices qui passe pour représenter Léonard. L’expression était si noble qu’elle faisait oublier une infirmité qui eût défiguré un autre visage : une convulsion enfantine avait fortement dévié l’œil droit. Ce regard bigle s’accordait avec cette physionomie, comme abstraite du monde extérieur et tournée en dedans, qu’éclairait la sérénité ardente des certitudes profondes. L’accent de sa fille, plus encore que ses mots, venait de lui prouver, une fois de plus, qu’il n’avait pas été assez prudent, et qu’il eût mieux valu ne pas lui annoncer la démarche de Jean Monneron, avant d’avoir la réponse du jeune homme sur le point encore en suspens. Pour Brigitte, évidemment, cette réponse ne faisait pas doute. M. Ferrand, lui, en revanche, se rendait trop compte que, si l’amoureux n’avait pas raccourci de lui-même ce délai des huit jours, la raison en était dans une hésitation de plus en plus grande. Il pressentait maintenant la résolution définitive de Jean, dont lui non plus d’abord n’avait pas douté, et il en redoutait le contre-coup sur sa fille :

— « Ma pauvre Brigitte, » reprit-il donc, « tu me dis que tu es calme et tu viens de me parler