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L’ÉTAPE

amour véritable, la fille-mère à la veille d’éprouver le cœur du père de son enfant. Plus simplement, elle aimait, de cet amour que ce même Platon a dépeint, dans ce même Timée, comme pétri de volupté et de douleur : ἡδονῇ ϰαὶ λύπῃ μεμιγμένον ἔρωτα. « Ces anciens ont tout dit, » eût répété Joseph Monneron, mais le propre du « Monneron » est de savoir cela, de comprendre et de sentir les vérités éternelles que nos maîtres de la Grèce et de Rome ont si puissamment rendues, et de ne jamais les appliquer à la vie !

À peine échappée au cruel interrogatoire de son frère cadet, Julie avait eu une crise affreuse de désespoir. Sur un trait de sa nature, Jean ne s’était pas mépris : elle avait de la fierté. À plusieurs reprises, dans les commencements de sa cour, Rumesnil avait essayé de lui faire agréer de ces menus cadeaux qui sont la grande tentation des filles comme elle, presque absolument privées des gentils colifichets dont les femmes raffolent. Elle n’avait jamais rien accepté. « Donnez-moi des bouquets d’un sou, » disait-elle à son ami, quand il se plaignait de son obstination à refuser les bijoux qu’il lui apportait. C’était cette susceptibilité de maîtresse pauvre qui l’avait toujours empêchée d’articuler tout haut ce mot de mariage, qu’elle se prononçait sans cesse dans sa pensée. L’inconséquence entre ce désintéressement presque farouche et ce désir d’être épousée par Adhémar n’était qu’apparente.