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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/351

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ET NE NOS INDUCAS

départ, comme les jours où elle devait prendre des notes dans une bibliothèque. Le ton agressif de Mme Monneron, joint à l’indifférence avec laquelle elle la laissait aller, sans insister davantage sur l’emploi de son après-midi, n’était pas pour adoucir la mélancolie de la jeune fille. Quel appui pouvait-elle attendre de ce côté ? Aucun. Antoine avait dit juste dans leur explication fratricide de l’autre nuit : cette mère avait favorisé de son mieux l’intimité entre sa fille et Rumesnil, accueillant celui-ci avec toutes les chatteries dont elle était capable, disparaissant pendant ses visites, ne soupçonnant pas le danger, le provoquant même, avec l’espoir intéressé que cette cour du jeune noble finirait par une demande en mariage. Elle n’avait pas su prévoir l’aventure où elle engageait sa fille. Elle ne savait pas voir la crise morale dont cette fille restait victime. Julie eut quelques instants d’une amertume bien mauvaise conseillère, dans cette petite chambre où elle avait trop rêvé. Elle était là, sa tête dans ses mains, les coudes sur sa table encombrée des inutiles livres et des programmes de son examen. Et voici qu’au « Jamais ! Jamais !… » de tout à l’heure allait se substituer le « Pourquoi pas ?… » qui marque le progrès de la tentation. Qu’il est fugitif à sa première apparition, ce « Pourquoi pas ? » et qu’il effleure légèrement la pensée !… Puis comme il revient, plus décidé, plus insistant ! C’est vraiment, autour de l’âme, la furtive et savante embûche du chasseur guettant sa proie.