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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/382

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L’ÉTAPE

titude fait trop de peine, la menaçante approche d’une catastrophe. Au lieu de cela, l’audacieux libertin n’aperçut, dans cette évidente crise, qu’un avertissement de hâter une rupture dont il avait déjà imaginé le moyen. Par une de ces anomalies de conscience que le moraliste renonce à expliquer, il se faisait un point d’honneur, décidé à quitter Julie, de la mettre à l’abri des dangers que cette grossesse représentait. Il calculait que s’il avait tout l’après-midi du lendemain pour agir sur elle, il la déciderait bien à la visite dont la première idée lui causait une telle horreur. La complaisante matrone du Gros-Caillou lui avait affirmé que cette unique consultation suffirait. Il ne doutait pas d’ailleurs que Julie ne vînt à l’appartement de la rue d’Estrées, d’autant plus volontiers qu’elle aurait été empêchée de soulager sa colère en ce moment par une explosion de révolte. Aussi, comme ils étaient arrivés jusqu’à la hauteur de la maison des Monneron, la quitta-t-il brusquement sur un prétexte trop naturel :

— « Je ne peux pas faire attendre Jean, » lui dit-il. « À demain donc, rue d’Estrées… Tu viendras quand tu pourras… Moi, j’y serai dès les deux heures. Et, d’ici là, ne te raconte pas trop de mal de moi… »

Il avait disparu depuis plusieurs minutes que la jeune fille était encore sur le trottoir, immobile et comme stupéfiée par les pensées que cette scène si courte, mais cruellement significative, avait soulevées en elle. Le bruit que firent en repassant