Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
397
LA CATASTROPHE

tion s’est toujours accompagnée de santé est vrai, c’est-à-dire conforme à la nature des choses, et l’autre, non. »

— « Vous parlez de faits, monsieur : me permettrez-vous de vous en citer un, » objecta l’abbé Chanut, « en m’excusant d’une question si personnelle : sans la Révolution, vous, monsieur Monneron, que seriez-vous ?…

— « Pour moi, » dit Crémieu-Dax en riant, « la réponse est toute faite… »

— « Ce que je serais ? » reprit Jean, — et toutes les tristesses de sa vie de famille frémissaient dans son accent, — « un homme encadré et racine, tout simplement. Les Monneron étaient des paysans du Vivarais. J’en serais un, soutenu par des mœurs, par des traditions, par des coutumes, tenant au sol où reposeraient mes morts, les prolongeant, ayant reçu d’eux un dépôt du passé, et prêt à le transmettre intact et vivant… Ce que je serais ? Un membre d’une famille en train de durer. Patiemment, sûrement, elles grandissaient, ces familles terriennes, si elles en étaient dignes, par leurs vertus. La vertu, quel beau mot latin : la force à l’état d’habitude, la force fixée visvirtus… ! Elles arrivaient à la petite bourgeoisie par en bas, avec le temps ; puis, de la petite bourgeoisie, si elles continuaient à se fortifier, elles montaient à la moyenne, à la haute, à la noblesse. C’était un axiome alors que la famille, dans l’état privé, devait d’abord s’enrichir par le travail, puis que, haussée d’un degré, c’est-à-dire