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L’ÉTAPE

assuré devant lui, s’il le voulait, et plus la voix intérieure lui commandait de résister, de ne pas sacrifier des raisonnements à une émotion, un principe obligatoire à une joie, si ravissante fût-elle. Et cet orage intime se déchaînait en lui, tandis qu’il prononçait, comme M. Ferrand lui-même, et comme Brigitte, d’insignifiantes paroles sur les menus incidents de cette interminable traversée du jardin : un nom inscrit à la base d’une statue, l’aspect d’un des monuments par ce jour voilé, la rencontre, au passage, d’une figure de connaissance. Cette contrainte, douloureuse pour tous les trois, quoique à des degrés inégaux, — car, chez le jeune homme, elle était du désespoir, et chez ses interlocuteurs seulement de l’anxiété — ne cessa qu’à l’arrivée dans la maison de la rue de Tournon, et lorsque, Brigitte les ayant laissés, les deux hommes se retrouvèrent face à face dans le cabinet de travail de M. Ferrand. Cette vaste et haute chambre attestait, comme la cour et comme l’escalier, que l’hôtel, aujourd’hui distribué en quelques appartements, avait été, au dix-huitième siècle, une de ces larges demeures parlementaires faites à souhait pour une famille bourgeoise, opulente et simple. La noble décoration de cette pièce : les couronnements des fenêtres et des portes, la forme de la cheminée avec son chambranle en anse de panier et la coquille de son cartel, dataient du milieu du dix-huitième siècle. Quatre grands corps de bibliothèque accentuaient, par les reliures sévères des gros livres qui les