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L’OBSTACLE

père, une seule, et que vous me répondiez, quelque mal que votre réponse puisse me faire, franchement, complètement… Vous venez de causer avec lui, bien à fond, n’est-ce pas, de lui lire dans le cœur ? Oui ou non, croyez-vous toujours qu’il m’aime ? »

Le père hésita une seconde, puis, avec la décision d’un homme qui a pris, une fois pour toutes, son unique point d’appui dans la vérité, si périlleuses qu’en puissent être les conséquences :

— « Oui, Brigitte, je crois qu’il t’aime. »

— « Ah ! merci, mon père, » dit la jeune fille. « Vous venez de me donner la force d’attendre tant qu’il faudra. » Elle embrassa M. Ferrand dans un élan de reconnaissance où il put la sentir frémir tout entière, puis, essuyant de sa main deux larmes qui lui avaient jailli des yeux : « Et maintenant je vous promets que je ne vous en parlerai plus… Vous serez content de moi. Je saurai porter ma croix… »

Le père connaissait trop sa fille pour ne pas savoir qu’elle tiendrait cet engagement de silence qu’elle venait de prendre si simplement, comme elle l’avait déjà tenu ces huit derniers jours. Il savait aussi qu’à travers et malgré ce silence, cette âme de son enfant lui resterait aussi transparente qu’elle l’était à cette seconde. Une comparaison involontaire le fit se ressouvenir de ce que Jean lui avait dit de ses silences à lui, vis-à-vis de son père, si fermés, si impénétrables. La même