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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/72

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L’ÉTAPE

belle-mère, le respect de sa fiancée pour les convenances bourgeoises, les conseils d’un proviseur paternel et qui s’intéressait à l’avenir d’un sujet brillant, la crainte des sévérités administratives, tout s’était réuni pour déterminer le jacobin à une concession qu’il n’avait d’ailleurs pas renouvelée lors de la naissance de ses enfants. Il ne pardonnait pas plus cette première et dernière faiblesse à l’Empire que ses aînés, les professeurs républicains de 1852, ne pardonnaient au débonnaire Napoléon III le serment prêté pour conserver leur chaire. Les innombrables discours que Jean avait entendu son père tenir sur ce point douloureux lui revinrent à la mémoire. Il crut entendre aussi les réponses qu’avaient faites sa mère, son frère aîné, sa sœur, son plus jeune frère. À l’image torturante, mais délicieuse, de Brigitte, d’autres images se substituèrent, aussi torturantes, mais sans cette extase de martyre qui mêle une ivresse aux pires désespoirs de l’amour. En quelques minutes, et tout en continuant de marcher sur ces trottoirs que son père, à son âge, et comme élève du séminaire laïque de la rue d’Ulm, avait tant suivis, il revécut les années d’un malaise moral, d’abord obscur et inexplicable, puis réfléchi et interprété par ses raisons profondes, que représentait pour lui ce mot si doux, si bienfaisant à tant d’autres : la famille. Dans cette conversation, poussée pourtant bien à fond, il n’avait fait à M. Ferrand que des demi-aveux Il n’avait pas caché les troubles de sa pensée reli-