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L’ÉTAPE

se voyaient des gravures mises sous verre et qui configuraient assez bien les goûts disparates de l’universitaire jacobin, idyllique et lettré. Une des planches représentait Rouget de Lisle chantant la Marseillaise chez M. de Dietrich, — une autre, les bergers de Nicolas Poussin : Et ego in Arcadià !… — une troisième, la séance de l’Assemblée nationale où M. Thiers fut proclamé le libérateur du territoire, — deux autres, des arcs de triomphe romains, par Piranèse, envoi d’un ancien élève, en mission à Rome. Quatre portraits, celui de Victor Hugo, celui de Michelet, celui de Jules Ferry et celui de Gambetta, achevaient cette décoration passablement incohérente, moins pourtant que le groupe des physionomies rangées autour de table. Joseph Monneron était un homme de petite taille. Les épaules étroites et le dos un peu voûté disaient assez qu’il n’avait fait, depuis plus de quarante ans, aucun exercice. Les os trop gros de ses poignets et le caractère presque massif des traits de son visage révélaient pourtant l’hérédité d’une race rude. C’était an vrai tempérament de plébéien, pour qui se raffiner, c’est s’user. Il y avait pourtant, chez cet homme d’aspect chétif, au teint plombé, des signes d’une nature tout à fait supérieure : les yeux, par exemple, très profonds et très doux, des yeux bleus de rêveur tendre qui éclairaient de leur poésie une face flétrie et creusée, encadrée par des cheveux tout blancs à cinquante ans et une barbe jadis blonde, aujourd’hui grisonnante. Le