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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/83

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LES MONNERON

sourire aussi, candide et presque enfantin, annonçait une âme restée jeune, l’âme de ces prunelles, une âme enthousiaste, et capable d’illusions magnifiques. Ce sourire illuminait, en la transformant, une bouche aisément diserte, à cause de l’habitude des cours. Le pli au repos, tout serré, tout tendu, décelait les ardeurs secrètes du fanatisme. Vis-à-vis de ce chef de famille, victime de ses idées et de la vie, vaincu par l’excès du travail mercenaire, mais si intelligent encore, si vibrant par toutes les fibres de ses nerfs fatigués, siégeait Mme Monneron. Son masque de Provençale paresseuse, engraissé avec l’âge, d’une graisse pâle, que faisait ressortir la nuance de la chevelure restée noire grâce à une absurde teinture, gardait quelques traces de son ancienne beauté. Elle avait des dents magnifiques et des traits fins, dans cette bouffissure qui lui aurait donné une physionomie poupine, n’eût été le regard, impatient et mobile, irritable et défiant. Ses yeux, comme charbonnés sur ce teint mat, trahissaient une nature impulsive, inégale et qui ne dominait pas ses sentiments. Avec cela, le front étroit et bas disait l’inintelligence, et la bouche, d’un dessin amolli, l’indolence. Négligente et entêtée, égoïste et passionnée, elle était bien la femme que dénonçait ce masque, si déplaisant lorsqu’on y avait discerné ces caractères, qui semblent contradictoires. Ils se tiennent par cette même logique qui relie la sensualité à la dureté, et la vanité à la bassesse. Debout, Mme Mornneron