Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
L’ÉTAPE

néfaste utopiste russe, que pour éviter les objections d’un de leurs premiers adhérents, anticlérical de la pure tradition, que le mot « saint » avait choqué dans Union Saint-Jacques.) « Oui, » continuait Monneron, « je ne suis pas collectiviste. Je n’ai jamais varié sur ce point. Ma charte, c’est la Déclaration des Droits de l’Homme, et je m’en tiens à l’article 17 : « La propriété est un droit inviolable et sacré. » Mais il y a un socialisme que j’approuverai toujours, c’est celui qui va au peuple pour l’éclairer… »

Il avait regardé son fils préféré, en insistant sur ces dernières paroles, d’un regard que Jean connaissait trop bien aussi, et qui prouvait que le jeune homme avait réalisé — à quel prix ! — le programme de la vieille chanson : « Mon fils sera mon consolateur… » C’était cette tendresse complaisante, si souvent surprise dans les yeux du professeur vieillissant, qui avait toujours arrêté sur les lèvres du jeune homme l’aveu qu’il aurait tant voulu et tant dû faire de leurs divergences intimes. Encore cette fois, ce regard fut le plus fort. Jean savait aujourd’hui la vanité de cette formule si magnifique à prononcer, si misérable à pratiquer : aller au peuple. Il savait, pour l’avoir éprouvé amèrement, — et il l’avait dit à M. Ferrand, — l’entière inutilité de ces rapports factices entre travailleurs de l’esprit et travailleurs manuels, où ceux-là ne font que s’abaisser, sans élever ceux-ci. Il était à la veille de rompre avec cette Union Tolstoï, dont il se