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L’ÉTAPE

entreprise pour lui manquée si totalement. Au lieu de cela, il se contenta de ne pas répondre et de pencher la tête sur son assiette, pour la relever brusquement, sur cette interpellation que le nom de cet ami, soupçonné de la plus honteuse félonie, suggérait à sa mère :

— « Il ne faut pas oublier, Julie, » disait Mme Monneron, « de faire la commission de Rumesnil. »

— « Adhémar est venu ? » demanda Jean. Malgré lui, en posant cette question, il dévisageait sa sœur. Celle-ci ne se départit pas, sous ce regard dont l’interrogation était si claire, de la maussaderie flegmatique dont sa très réelle joliesse était comme masquée. Ce fut encore la mère qui répondit, et son fils crut discerner dans sa voix une certaine précipitation, celle de quelqu’un qui, n’ayant pas la conscience absolument tranquille, devance un reproche possible :

— « Mais oui. Je m’étonne que tu ne l’aies pas rencontré, rue d’Ulm ou rue Gay-Lussac, si tu es rentré par là. Il est parti très tard. Il t’a attendu une longue demi-heure. J’étais occupée. Je l’ai laissé expliquer à Julie ce qu’il te voulait. »

— « Il s’agissait de l’U. T., » dit la jeune fille. Comme on voit, elle employait la sorte d’abréviation, empruntée aux habitudes anglo-saxonnes et qui trahirait seule l’origine étrangère et artificielle de ces groupements périlleux, fantaisies de jeunes bourgeois qui jouent aux apôtres sans s’inquiéter des conséquences. « Il voulait