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LES MONNERON

est adroite, et elle est renseignée ! Il s’agit de briser ce mouvement des universités populaires qui leur fait peur. Pas de robe noire chez vous, si vous voulez vivre. C’est le simple instinct du cousin Riouffol qui a eu raison, pour cette fois, contre vous… »

Ce Riouffol était un parent des Monneron, au troisième degré, venu, lui aussi, de Quintenas, mais sans avoir, en abandonnant la campagne pour la ville, quitté la blouse pour la redingote. Il était ouvrier relieur et fort habile. Il était aussi un grand lecteur de journaux et un des ces autodidactes passionnés des questions sociales dont la redoutable espèce pullule aujourd’hui. Il s’était fait reconnaître de ses cousins assez tard et seulement après avoir rencontré Jean à l’Union Tolstoï. Celui-ci l’avait amené chez son père. Cette relation n’avait guère été du goût de Mme Monneron, et c’était un des griefs qu’elle gardait à son fils. Aussi s’empressa-t-elle de saisir cette occasion de lui décocher quelques mots désagréables :

— « Tu t’es disputé avec lui, Jean ? Avoue-le. Je t’avais prévenu. Tu n’as déjà pas le caractère si facile, et, quant à lui, je ne m’y suis pas trompée, c’est un anarchiste. Je suis la fille d’un garibaldien, je ne suis donc pas suspecte, et la femme d’un bon républicain, je m’en vante. Mais je déteste les anarchistes, et je te répète que c’en est un… »

— « On le deviendrait à moins, » dit Antoine, avec son ironie accoutumée. » Rumesnil et Cré-