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UN DIVORCE

— « Ma question n’avait pas de sens, » avait-il repris. « Vous ne feriez pas votre médecine sans ce diplôme. Mais, en France, on est si peu habitué encore à voir les femmes acquérir certaines connaissances. »

— « Les choses sont en train de changer, » avait-elle dit, « et c’est très heureux. La Science est la grande libératrice, et la femme a plus besoin d’être libérée que l’homme. »

— « Ce sont tout à fait mes idées, » avait dit Lucien, « et j’espère aussi que l’on ira de plus en plus dans cette voie. Je m’étonnerais pourtant, mademoiselle, si les étudiantes en médecine ne restaient pas l’exception. »

— « À cause de l’amphithéâtre et de l’hôpital, sans doute ? » avait-elle demandé.

— « Précisément. »

— « Vous n’avez jamais disséqué, monsieur, » avait-elle reparti. « Sinon, vous sauriez que c’est une très petite impression à vaincre et simplement physique. On ne voit plus dans le cadavre et bien vite qu’une leçon d’anatomie à vérifier. On ne réalise pas que ce débris ait été un homme… L’autopsie est plus pénible. On s’est intéressé à un malade, on a reçu ses confidences. Vingt-quatre heures après, on le retrouve, sur une table, inerte, glacé, son cerveau ici, son cœur là, son foie ailleurs… Pour moi, ç’a été et c’est encore l’impression affreuse, mais la seule, car, si à l’hôpital on assiste à des spectacles tristes, on peut y faire tant de bien, par un mot, un geste, une attention !… »

Elle avait donné ces détails sur ses impressions professionnelles, avec une simplicité singulière. Elle n’avait ni dans son regard, ni dans sa voix.