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BERTHE PLANAT

cet air de défi, si déplaisant chez la plupart des adeptes du féminisme. Elle disait ce qui était, tranquillement, comme c’était, sans se soucier non plus de l’effet dépoétisant que la mention des plus répugnantes besognes de son métier pouvait produire sur son interlocuteur. Celui-ci, en proie à une curiosité encore grandissante, avait demandé :

— « À l’école pratique et à l’hôpital, il n’y a pas seulement les malades et les morts. Il y a les camarades. Je ne connais pas beaucoup d’étudiants en médecine, mais le ton de la plupart me paraît devoir être très choquant pour une jeune fille… »

— « C’est ce qui vous trompe, » avait-elle répondu ; « pour ma part, car on ne peut bien parler que de soi, j’ai bien rencontré quelques jeunes gens grossiers de langage, mais peu, et, quand ils se trouvaient avec d’autres, ceux-là les faisaient vite taire… Il arrive souvent qu’à l’hôpital, quand on nous demande d’examiner un malade, nous entendons derrière nous des propos et des rires que nous aimerions mieux ne pas entendre. C’est surtout de la taquinerie. Il s’agit de nous embarrasser pour se divertir ensuite de notre gêne… Un peu de sérieux a raison de ces enfantillages… Quant à ceux qui auraient certaines idées, on a tôt fait de les arrêter net. Ils ne recommencent pas. Pour moi, j’ai la prétention d’être la meilleure des camarades ; mais chaque fois qu’un étudiant essaie de devenir trop aimable, je l’avertis que, du jour où il me parlera autrement qu’à un homme, je ne le connaîtrai plus… »

Elle avait quitté son compagnon sur cette déclaration, prononcée à la porte même de cette crémerie de la rue Racine où Albert Darras devait