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BERTHE PLANAT

nément : : — « Je l’avertis que du jour où il me parlerait autrement qu’à un homme, il ne me connaîtrait plus… » Elle qui considérait comme une insulte la plus légère ombre de cour, le laisserait-elle même achever cet outrageant rapport ? Elle le chasserait. Cette intimité d’essence unique où tant d’extases passionnées s’étaient cachées sous des conversations d’idées serait rompue ! L’amoureux s’était bien souvent demandé sans pouvoir répondre à cette question : « Que sent-elle pour moi ? » Il ne se le demanderait plus. Berthe le mépriserait ! Elle le haïrait !… L’anxiété de cette perspective fut si douloureuse pour Lucien qu’il voulut mettre encore un peu de temps entre lui et la minute où il accomplirait l’acte peut-être irréparable. Il était au coin de cette place de la Contrescarpe, dont il avait aimé jadis, on se le rappelle, l’archaïque dénomination. Ce souvenir lui remémora de nouveau avec trop d’intensité son premier pèlerinage à la maison de son amie. Il descendit de son fiacre et marcha jusqu’à la rue Rollin. Il était un peu moins de trois heures. C’était le moment où l’étudiante travaillait d’ordinaire à l’École pratique. Mais, la veille, elle lui avait dit qu’obligée de rester plus tard à l’Hôtel-Dieu et d’y déjeuner, elle rentrerait sans doute chez elle. — On voit qu’Albert Darras s’était trompé en croyant que son beau-fils était allé s’entendre avec sa complice avant de se rendre au Grand-Comptoir. — Mlle Planat pouvait avoir changé d’idée. La perspective d’un dernier répit donna au jeune homme une autre crise d’hésitation. Il était entré dans la rue. Il passa et repassa plusieurs fois devant la maison avec un battement de son cœur et un désarroi de sa vo-