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UN DIVORCE

lisme bourgeois de ses origines, l’indépendance de ses allures et leur réserve, l’austérité de ses travaux, et le génie de naturelle élégance qui la faisait demeurer fine et séduisante dans des conditions où dix-neuf de ses compagnes sur vingt abdiquent toute grâce ! Jamais, à aucun moment, Lucien n’avait senti davantage la poésie cachée de cette chambre où il avait pénétré souvent, et toujours avec un tremblement. D’y revoir celle que son beau-père venait d’outrager atrocement, paisible, assidue à son labeur quotidien ; de constater comme elle l’ennoblissait, ce rebutant labeur, par un constant effort vers de généreuses idées ; de la retrouver aussi toute frêle et toute jolie, complètement ignorante de la calomnie propagée contre elle, lui fut une émotion trop poignante. Les larmes lui vinrent. L’extraordinaire tension nerveuse de l’heure qu’il avait traversée se résolut dans cette crise de faiblesse. Ces pleurs silencieux commencèrent d’inonder sa face, sans qu’il eût, écroulé plutôt qu’assis sur une chaise, la force de prononcer une parole. Étonnée de son silence, Berthe se retourna enfin complètement. Elle vit ces sanglots muets, cette face convulsée, ce regard. Pas un instant, elle ne se trompa sur la cause. Une heure décisive et qu’elle appréhendait depuis des jours était arrivée. Son bouleversement fut si fort qu’elle non plus n’arriva pas à se dominer tout à fait. Elle dut reposer l’atlas qu’elle se préparait à ranger, et elle eut comme un voile sur la voix pour dire :

— « Vous pleurez, Lucien ? Qu’avez-vous ? Que se passe-t-il ?… »

— « Tout à l’heure… » répondit-il, avec un geste