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UN DIVORCE

visage, qui demeurait, à quarante ans passés, joli encore par la finesse préservée des traits, la délicatesse intacte du teint, un je ne sais quoi de frémissant qui trahissait une sensibilité restée vive et neuve. Même en proie au souci qui la contractait cette physionomie n’avait pas son âge. La taille mince, la démarche alerte, le port souple de la tête s’accordaient avec cet air de jeunesse que démentaient à peine les fils d’argent mêlés à l’or des cheveux et le cercle bleuâtre des paupières, comme meurtries de lassitude. Mais si les insomnies et les inquiétudes avaient cerné ces grands yeux d’un brun doux, elles n’en avaient pas terni l’éclat velouté qui donnait une grâce plus prenante encore à la beauté blonde de cette femme. Qu’elle eût d’ailleurs la conscience et l’entente de cette beauté, l’élégance, effacée à la fois et soulignée, de sa mise le révélait. Visiblement, elle avait voulu obtenir un savant effet d’harmonies sobres et chaudes. Une touffe de violettes de Parme relevait son chapeau de loutre, sa jaquette de la même fourrure retombait sur une jupe de drap couleur pensée. Certaines toilettes, à Paris, par le fini de leur détail et la ligne de leur ensemble, classent une femme aussi certainement qu’un officier son uniforme et ses galons. Depuis les bracelets qui luisaient sur ses poignets au bord du manchon, jusqu’aux fines chaussures apparues sous la jupe à longs plissés, tout chez Gabrielle Darras dénonçait une personne de la haute bourgeoisie française ; de cette classe à la fois comblée et discrète, où se perpétue, malgré l’envahissement de l’exotisme, le goût traditionnel de notre pays. Hélas ! si le caractère un peu paré de cette toilette décelait chez celle qui