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UN DIVORCE

du foyer maternel, il aurait dit : « Ma mère m’aime par surcroît. Je ne lui suis pas nécessaire… » Et il se serait trompé. Ses vingt-trois ans, ombrageux et passionnés, avaient souffert de partager une tendresse qu’ils auraient voulue exclusive. Même partagée, cette tendresse était bien profonde, et sa mère avait beaucoup souffert des marques de son indifférence. Cette marque-ci, ce silence dans un pareil moment, avait été la pire. On se rappelle que toute l’après-midi s’était passée, pour la pauvre femme, après qu’elle avait appris la scène des deux hommes et la rébellion de Lucien, à se demander dans une angoisse sans cesse grandissante : « Où est-il ?… Mais où est-il ?… » Vers les neuf heures, et au moment où elle adjurait son mari d’aller dès le soir même à la Préfecture de police demander qu’on fît des recherches, le billet de Lucien au domestique était arrivé.

— « Il faut que j’y aille moi-même… » avait-elle dit. « Ce commissionnaire me conduira. Je verrai mon fils. Je lui parlerai. Je le ramènerai ».

— « Tu ne feras pas cela, » avait répondu Darras. C’était la première fois peut-être, depuis leur mariage, qu’il avait pris un accent impérieux pour ajouter : « — Je te le défends… Lucien vient de te manquer gravement en ne t’écrivant pas, après m’avoir manqué plus gravement. C’est à lui de revenir… D’ailleurs, » avait-il continué plus doucement, « raisonne un peu. Ou bien, il est chez cette fille. Est-ce à toi de l’y relancer ? Ou bien, comme je l’ai prévu, il fait une enquête, et cette demande d’une valise indique qu’il va partir pour Moret sans doute, peut-être pour Clermont. Dans ce cas-là, il doit agir seul… Aie le courage d’attendre, ma