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LA PLAIE OUVERTE

chère femme. J’avoue que c’est un courage… »

Gabrielle avait obéi. Sa raison s’était rendue à cette évidence : tant que son fils ne serait pas éclairé, une démarche d’elle risquait de rendre son retour plus difficile. Elle avait voulu seulement choisir elle-même les vêtements de la valise et les plier de ses mains. Ces humbles soins trompèrent un instant sa détresse qu’avaient accrue encore les quelques paroles de son mari. Il avait été presque dur, lui si délicatement affectueux d’ordinaire ! Elle ne l’en blâmait pas. Cette irritation était trop légitime, après l’attitude de Lucien. Il n’en était pas moins vrai que jamais il ne lui avait parlé ainsi, et, sentant le malheur l’envelopper de toutes parts, elle était montée, comme cela devenait son habitude depuis plusieurs semaines, quand elle ne sortait pas, faire dire la prière du soir à sa fille. Elle avait espéré trouver là un apaisement, et voici qu’au contraire elle avait été saisie d’une crise plus forte de ce remords religieux, qui la conduisait, quelques heures auparavant, dans la cellule du Père Euvrard. Quand la petite Jeanne, agenouillée au pied de son lit dans sa longue chemise blanche, avait prononcé les mots de l’oraison :

— « Visitez, nous vous en supplions, mon Dieu, cette demeure. Visita, quæsumus, Domine, habitationem nostram. »

— « Il ne peut pas la visiter, » — avait gémi tout bas la mère, « puisqu’il y est outragé ! »…

Cette dure formule, qui lui revenait ainsi à l’esprit, avait été employée par le premier prêtre à qui elle s’était adressée et dont elle avait parlé avec tant de révolte au Père Euvrard. — « Vous vivez, » lui avait-il dit, « avec un homme qui n’est pas