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Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/231

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L’IMPRÉVU
VIII
l’imprévu

Était-ce là une de ces protestations exaltées comme la généreuse ardeur de l’adolescence en prodigue naturellement ? Ou bien quelques phrases surprises par hasard avaient-elles fait travailler l’esprit de l’enfant, avertie déjà par l’absence prolongée et inexplicable de son frère ? Toujours est-il que cet étrange rapport entre cette naïve preuve d’attachement imaginée par la petite et le motif du dissentiment avec Lucien émut davantage encore la pauvre femme. Lorsque, à l’heure dite, on lui fit passer la carte de M. Mounier, elle était arrivée à un tel degré d’agitation qu’elle en avait réellement perdu la voix. Les premiers mots par lesquels elle accueillit le notaire et lui présenta son mari furent énoncés d’un accent si aphone que l’homme de loi offrit de se retirer pour revenir quand elle serait moins souffrante.

— « Nous préférons, monsieur, savoir dès aujourd’hui l’objet de votre visite, » dit Darras. « Vous connaissez ma qualité, maintenant. C’est donc moi qui vous répondrai. »

— « Ce ne serait pas tout à fait correct, » dit M. Mounier, après une seconde d’hésitation, « s’il s’agissait d’une démarche officielle. Mais je ne me suis permis de demander à Mme Darras cette entrevue qu’à titre officieux, et je ne vois que des avantages à m’expliquer devant vous, monsieur,