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UN DIVORCE

quoique le sujet dont j’ai à entretenir Madame lui soit, de par le Code, exclusivement personnel… Vous savez, n’est-ce pas, que je suis le notaire de M. de Chambault ?… »

Il avait parlé avec cette courtoisie soulignée particulière aux gens de sa profession, derrière la politesse desquels se devine si aisément l’arme invincible, ce Code auquel il venait de faire une immédiate allusion. Le ton cassant de l’ingénieur avait assombri, l’éclair d’un instant, sa physionomie volontairement amère. C’était un homme de cinquante-cinq ans, petit, aux traits menus, à l’œil très fin derrière son lorgnon d’écaille, qui avait une grande habitude du monde, ayant toujours mené une vie de cercle et de salon à côté de sa vie de bureau. Un peu de rougeur lui vint au visage, mais il ne se départit pas de son accent conciliateur, même quand Darras lui eut répondu :

— « Je croyais que, d’après le Code, rien n’était exclusivement personnel à une femme mariée. Mais voyons, monsieur, ce dont il s’agit. »

— « D’un projet d’union formé par M. Lucien de Chambault, » dit le notaire, « et pour lequel il devra demander le consentement de Mme Darras.

— « Il a demandé ce consentement, » interrompit Darras, « et nous le lui avons refusé. »

— « C’est ici, monsieur, » insista M. Mounier, « que je me vois obligé de rappeler mon expression de tout à l’heure. Voilà un des cas très rares où votre personnalité ne saurait en aucune manière intervenir, du moins légalement… Vous m’excuserez de préciser ici un point, peut-être pénible. Mme Darras était divorcée quand vous l’avez épousée. Or, le divorce n’a pas d’effet rétroactif.