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UN DIVORCE

ville interdisent le débarquement, par crainte de la contagion. Serait-il juste, serait-il charitable, de céder aux supplications du voyageur, au risque de contaminer une cité de cent mille habitants ? Évidemment non. Voilà donc une circonstance où la justice, où la charité exigent le sacrifice de l’intérêt individuel à l’intérêt général. Ce principe domine la société. Entre deux mesures, dont l’une est certainement utile à l’ensemble, et pénible à tel individu, l’autre agréable à cet individu et nuisible à l’ensemble, la justice et la charité veulent que la première prédomine. C’est la question qu’il faut se poser à propos de toute institution, pour en mesurer la valeur. Posez-la pour le mariage indissoluble. Que répond la raison ? Que la société se compose de familles et que, tant valent ces familles, tant vaut cette société. Considérez maintenant ce que le mariage indissoluble apporte de chances de santé à la famille : — chances de réflexion sérieuse avant l’engagement, puisqu’il est irrévocable, — chances de cohésion plus étroite entre les ancêtres, les parents et les enfants, puisque la lignée comporte moins d’éléments hétérogènes, — chances d’unité dans l’esprit des membres et de suite dans la tradition. Ce mariage est le plus fort agent de cette fixité des mœurs, en dehors de laquelle tout n’est qu’anarchie et fièvre éternelle. Que répond l’histoire, après la raison ? Elle démontre qu’en effet toutes les civilisations supérieures ont tendu à la monogamie. Or le divorce n’est pas de la monogamie, c’est de la polygamie successive. Je ne veux pas vous faire un cours de sociologie. Savez-vous pourtant ce qu’établit la statistique ? Dans les pays où le divorce existe, le chiffre des criminels,