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UN DIVORCE

clandestines. Revenez, quand on le saura chez vous. »

— « Et d’ici là ?… » interrogea-t-elle.

— « D’ici là, je prierai pour que vous ayez commencé à remplir, dans la mesure permise par la prudence, votre devoir de franchise… »

— « Alors, adieu, mon Père, » dit-elle. « Je vous reste quand même très reconnaissante de m’avoir donné une de vos heures dont je sais tout le prix… »

Elle avait eu, pour prononcer cette formule de remerciement, la voix assourdie d’une femme qui se retient pour ne pas éclater en sanglots. Cette émotion gagna le prêtre. Il essaya de corriger ce que sa dernière réponse avait pu avoir de dur, en lui disant, après qu’ils eurent marché tous deux jusqu’au seuil de la porte d’entrée :

— « Adieu ? Non. Au revoir, mon enfant, et bientôt. »

— « Adieu… » répéta Mme Darras, et elle commença de descendre, sans se retourner, l’étroit escalier de la pauvre maison. Le Père Euvrard demeura sur le palier une seconde, comme s’il se préparait à la rappeler. Puis, la réflexion l’emporta sur le sentiment, et il referma sa porte, pour rentrer seul dans l’asile de science où la visiteuse inconnue venait de lui révéler, sans lui dire son nom, un drame intime d’une poignante intensité. Une opposition radicale entre deux consciences d’époux est toujours pénible. Elle devient infiniment douloureuse, quand elle porte sur ces problèmes religieux qui ont fait de tout temps, et continueront de faire, à travers les siècles, le fond dernier de la vie de l’âme. Cette opposition est tragique, lorsque ces époux sont dans le divorce,