Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33
L’IMPASSE

qu’ils n’ont pas cessé de se chérir et que le réveil de la foi chez l’un d’eux lui donne le remords quotidien de cet amour, sans le détruire. Que pensera l’autre ? Avec quelle révolte il constatera ce lent, ce meurtrier empoisonnement de leur commun bonheur ! Si c’est la femme que la nostalgie de l’Église reprend de la sorte, et que le mari professe à regard de la religion, non pas l’indifférence d’un sceptique, mais l’hostilité raisonnée d’un systématique, quel conflit ! Quoique Mme Darras, — pour parler le langage familier au Père Euvrard, — ne lui eût dessiné que le « schéma » de sa vie sentimentale, elle en avait assez dit pour que les diverses possibilités de malheur qui menaçaient son foyer eussent apparu à l’Oratorien. Elle était partie depuis longtemps qu’il en frémissait encore. En vain le tableau noir, dressé sur le chevalet, l’invitait-il à se replonger dans la sereine atmosphère des spéculations mathématiques. L’esprit du savant était ailleurs, à suivre l’inconnue dans sa rentrée chez elle, auprès de son mari, à qui elle était si attachée et dont elle avait si peur !… Pourquoi ? Sans aucun doute cet homme était possédé de cette haine contre l’Église, bien singulière dans un âge de large culture intellectuelle, et pourtant bien fréquente. Victime lui-même de cette haine, l’Oratorien éprouva tout à coup un étrange sentiment de l’unité profonde qui solidarise les destinées les plus différentes dans une même patrie. Le heurt qui devait inévitablement se produire entre ce mari et cette femme n’était qu’un épisode, comme son exil hors de sa communauté, du duel engagé dans la France actuelle entre deux formes de pensées, deux civilisations, deux mondes. C’était