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UN BEAU-PÈRE

même cette crémerie de la rue Racine, à l’heure où je les avais vus y entrer. Je constatai que Lucien, qui manque un déjeuner ici sur deux, se retrouvait là constamment avec cette inconnue. Ils y occupaient le même angle de table, qui leur était évidemment réservé. Ils y mangeaient, assis l’un à côté de l’autre, comme je les avais vus la première fois. Ou plutôt, elle y mangeait. Car pour lui, si superficielle que fût, par prudence, mon observation, elle suffisait, — son attitude restait toujours celle de la première fois : à peine s’il touchait aux plats qui lui étaient servis. Il ne faisait que la regarder et comment ! Quand je fus bien sûr qu’ils étaient deux des habitués de l’endroit, je pris le parti d’y entrer moi-même, en leur absence. Je questionnai le garçon que j’avais vu leur apporter leur repas. Il ne fit aucune difficulté à me répondre. J’appris ainsi que la jeune fille était une étudiante en médecine, du nom de Mlle Planat… Tout s’éclairait. Les séances à l’hôpital et aux cours de la Faculté s’expliquaient de deux manières : ou bien elles fournissaient à Lucien un prétexte à ne pas quitter cette fille dont il était amoureux, ou bien il pensait de bonne foi à se faire vraiment médecin, par une aberration, comme tu viens de qualifier sa conduite, peut-être pire. Il y a eu, ces temps-ci, plusieurs exemples de mariages entre étudiants hommes et étudiants femmes, ayant passé leurs examens, et qui se sont établis pour exercer ensemble la profession de docteurs… »

— « Cette fille voudrait se faire épouser ?… » interrompit Mme Darras, et elle prit la main de son mari dans ses mains, du geste de quelqu’un qui implore un appui : — « Ne me cache rien, » conti-