Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/30

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— Ah ! ah ! ah ! s’écria-t-il, l’aventure est bonne, mon cousin ! pendant que tu m’accuses d’être bavard, tu bavardes tant et si bien que tu te casses le nez ! On voit la paille dans l’œil du voisin, on ne voit pas dans le sien la poutre ! Bryot, le bègue de Saint-Léonard-en-Tréguier, me disait toujours que je n’avais pas la langue bien pendue. Melaine Chrestien, qui jouait du serpent à l’abbatiale de Fougères et qui était ivrogne endurci, conseillait aux plus sobres de ne point tant boire. La femme dudit Melaine accoucha une fois de deux enfants jumeaux : un garçon et une fille. La fille fut sœur converse à la Madeleine ; le fils tourna de côté ; on le pendit à Vannes en soixante et un, voilà huit ans de cela. Il avait un soir coupé la bourse de Jean Riboust, le gros tanneur de Redon, et il y avait dans la bourse…

— Là ! là ! s’interrompit frère Bruno ; ta voix s’enroue, mon camarade ! Repose-toi ; tu n’as plus ta langue de quinze ans !

Il arrivait à la tête du pont. Le Couesnon, un bavard, aussi, babillait sur les gallets de son lit. Frère Bruno releva son froc qui gênait sa vue et fit effort pour percer les ténèbres. Il n’y avait personne sur le pont.

— Si le petit Jeannin me fait croquer le marmot ici, pensa le bonhomme, je lui en dirai mon avis. Du diable si je courrais la prétentaine par une nuit semblable pour un autre que lui. Je sens venir l’orage ; dans une heure il va éclairer, dans une autre heure pleuvoir et tonner. Ce qu’on va penser de moi au couvent, je vous le demande !…

— Parbleu ! on pensera ce qu’on voudra, n’est-ce pas ?

— Sans doute, je dis seulement qu’on s’étonnera de notre absence.

— Moi, je m’en bats l’œil !

— Toi, tu n’as pas la gravité qui convient à ton âge. Un religieux ne doit point parler comme un soldat. Je sais bien que ce n’est pas une affaire, Jérôme me remplacera bien pour une nuit.

— Et pour deux aussi, par ma foi !