Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/31

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— Savoir…

— Et pour trois ! si tu crois que tu es utile au couvent !

— Aussi utile que toi, mon ami… Sarpebleu ! tu me ferais jurer !

— Jure, vieux pécheur ! Ne te gêne pas !

Frère Bruno frappa du pied et ferma les poings.

— Ne me pousse pas ! s’écria-t-il avec une véritable colère : il y aurait de quoi se jeter à l’eau.

— Eh bien ! nous sommes sur le pont ! jette-toi, jette-toi ! je t’en défie !

Le spectre de Fier-à-Bras ne devait pas être bien loin, car un éclat de rire grinça aux oreilles de frère Bruno. En même temps la voix de Jeannin s’éleva vers l’autre bout du pont.

— Est-ce vous, mon digne frère ? demanda-t-elle.

— C’est moi, répondit le moine convers ; mais pourquoi ris-tu par cette triste nuit, petit Jeannin ?

Le premier éclair entr’ouvrit la nuit et montra le visage du bon écuyer, qui, certes, n’était point trop joyeux.

— Pourquoi je ris ? répéta-t-il sans comprendre.

— Ne t’ai-je pas entendu rire ?

— Non, mon frère ; je croyais que c’était vous ou votre compagnon.

— Mon compagnon ? répéta frère Bruno a son tour. Puis se reprenant un peu confus, il ajouta : Bien, bien, petit Jeannin, je sais ce que tu veux dire. Quand je chemine, seul, la nuit, j’ai coutume de réciter tout haut mes patenôtres… Mais arrivons au fait, je te prie, et ne perdons pas de temps précieux en paroles inutiles. T’ai-je raconté jamais, petit Jeannin, la bonne aventure du Malandrin Pierre d’Acigné, qui détroussa, sur ce pont même où nous sommes, dom Vincent, prieur des bénédictins de Cancale ? Il ne faisait pas encore nuit close, et dom Vincent venait tranquillement sur sa mule.

Jeannin lui serra fortement le bras.

— Avez-vous confiance en moi, mon frère ? demanda-t-il.

— Presque autant que si tu étais gentilhomme, mon petit Jeannin, répondit Bruno sans hésiter.