Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/41

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blancs du Couesnon qui s’agitaient tout seuls et l’âme de Fier-à-Bras l’Araignoire qui me sauta à califourchon sur le cou, pendant que le tonnerre faisait rage et que la pluie tombait à torrents… Mauvaise histoire ! Et ce qui s’en suivra mon patron le sait !

Il arriva à la tente du gruyer traversé jusqu’aux os. Il se mit au lit sans conter aucune bonne aventure à son hôte. En se couchant, il trouva moyen de décharger sa mauvaise humeur sur quelqu’un.

— C’est ta faute, dit-il.

— Je t’attendais là ! Quand les choses tournent mal, c’est toujours ma faute, n’est-ce pas ?

— On ne donne pas rendez-vous aux soudards à dix heures de nuit.

— Tu peux bien dire onze heures.

— Raison de plus ! Tu as ce que tu mérites.

— Et toi aussi ! En voilà assez, à la niche et fais le mort !

Comment se conduire avec ses tyrans domestiques qui n’admettent pas la discussion ? Le mieux est de se soumettre. Frère Bruno étouffa un murmure et se coucha. Il dormit comme un juste qu’il était, rêvant qu’on le mettait en paradis et que le paradis était une maison immense, toute pleine d’oreilles incessamment avides d’entendre conter de bonnes histoires.

Jeannin, cependant, était resté sur le pont, tout pensif. Son plan lui avait coûté beaucoup de travail : il le jugeait excellent ; mais voilà que tout cet édifice, péniblement construit, manquait par la base. C’était à recommencer.

Il y avait à la tête du pont un bouquet de vieux peupliers bien branchus ; quand la pluie vint, Jeannin se mit à couvert sous les arbres. Il discutait en vérité avec lui-même comme s’il eût été frère Bruno la Bavette.

— Ces choses sont au-dessus de ma portée, se disait-il ; qu’ai-je à faire en ce monde, sinon à garder la veuve de mon maître et son noble héritier ? La Bretagne est trop grande ;