Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il avait pris l’écuyer par la manche et l’attirait vers le cours du Couesnon. Tout en marchant, il continuait :

— La pluie perce déjà le feuillage des peupliers, et je ne veux pas gâter mes chausses neuves. Mon manteau a été brûlé avec le père Rémy et le grand idiot de Jersey. Tu dis bien, mon ami Jeannin : tant mieux que je vive ! tant mieux pour ! moi tant mieux pour toi ! tant mieux pour Coëtquen, mon maître ! tant mieux pour la digne femme Lequien, qui met au four les bonnes tourtes d’Ardevon ! tant mieux pour la Bretagne, qui me possède, pour la France, qui possédera la Bretagne ! Tant mieux pour l’Europe tant mieux pour l’univers !

— Là ! fit-il en tournant court sous la première arche du pont ; la mer baisse tout exprès pour nous, et nous serons ici comme dans notre chambre. J’ai dormi plus d’une fois en ce lieu ; seulement il ne faut pas avoir le sommeil trop dur, car le flux vient sans crier gare ! Assieds-toi là, mon ami Jeannin : nous allons causer raison comme si tu étais un homme de sens.

Sous l’arche, du côté du rivage, il y avait un enfoncement en forme de niche. Dans la niche, on avait mis une grosse pierre qui pouvait servir de siège. Jeannin s’assit ; Fier-à-Bras se mit sans façon sur ses genoux.

— Écoute le vent siffler et la pluie tomber, dit-il ici, nous nous moquons de la pluie et du vent.

— Que me parlais-tu de ma fille ?… commença Jeannin.

— Bon ! bon ! tu vas trop vite. Chaque chose aura son temps. Dis-moi ce que tu as fait aujourd’hui.

— J’ai songé…

— Creux ? J’aime mieux ton bras que ta cervelle. Moi, qui suis un penseur et un philosophe, je puis bien passer montemps à songer ; toi, tu as bons yeux et bon poignet : regards et agis.

— J’ai beau regarder, mon pauvre Fier-à-Bras…

— Tu ne vois rien, n’est-ce pas ?

— Rien de bon ! et pour ce qui est d’agir…