Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jeannine releva sur elle ses yeux pleins de larmes et dit :

— Me viendrez-vous voir quelquefois, chère demoiselle, quand je serai sœur converse au couvent de Châteauneuf ?

— Pourquoi parles-tu ainsi, ma fille ? s’écria Berthe, et pourquoi pleures-tu ?

— Ma nièce, veuillez vous mettre au lit, je vous prie, répéta la douairière de la Croix-Mauduit ; je vous entends causer avec la jeune vassale de notre cousine et respectée voisine madame Reine de Kergariou, dame du Roz, de l’Aumône et de Saint-Jean-des-Grèves. Un entretien honnête ne me sied point, mais il faut se tenir en toutes choses dans les limites raisonnables. En nous privant, durant les heures nocturnes, de la lumière du soleil, le Créateur manifesta clairement sa volonté, qui est que nous dormions et reposions sous sa garde, depuis le soir jusqu’au matin.

— Je vous obéis, madame ma chère tante ; ayez bon sommeil.

Le beffroi plaintif de la ville de Pontorson sonna les douze coups de minuit.

— Madame ma tante a raison, reprit Berthe sans quitter son siège ; couchons-nous, ma fille, il est tard.

— S’il vous plaît, répondit Jeannine, dont les larmes s’étaient séchées pendant le sage discours de la vieille dame, je vous servirai de chambrière.

— Attendons encore. Mes pieds sont froids… que ces lits sont grands et tristes, ma fille ! Lequel a le plus noble visage, à ton sens, de messire Aubry ou de messire Olivier ?

— Messire Olivier, répondit Jeannine en mentant à son cœur.

Elle croyait bien que Berthe allait protester avec colère ; mais Berthe ne protesta point.

— C’est mal, peut-être, murmura-t-elle, de parler si longtemps de semblables choses. Ce front brun et pâle du baron d’Harmoy, cet œil noir qui a l’éclat du diamant, cette soyeuse chevelure dont les anneaux se balancent, humides et chargés de parfums… peut-il exister des femmes assez téméraires pour donner leur pensée à la beauté d’un inconnu ?