Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/60

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Deux larmes tremblaient aux cils de Jeannine.

— Oh ! fit Berthe avidement, que tu es heureuse ! Tant mieux, tant mieux ! Je suis contente ! tu me devineras ! tu comprendras que ma souffrance vient de mon incertitude. Le jour où Aubry, franchement, loyalement, réclamera ma main et ma foi, je serai forte… Qu’il me regarde ce jour-là, l’homme aux prunelles ardentes, je me rirai de lui !

Les deux larmes qui brillaient aux cils de Jeannine roulèrent le long de ses joues.

— Qu’as-tu, ma belle petite ? demanda Berthe.

— Hélas ! ma chère demoiselle, repartit Jeannine, je donnerais le meilleur de mon sang pour que messire Aubry vous défendit, comme il le doit, contre le malheur ! Au couvent où je vais entrer…

— C’est vrai, fit Berthe qui l’interrompit. Embrasse-moi, j’avais oublié que, toi aussi, tu es malheureuse.

Elle reprit avec une sorte d’enjouement :

— Plus malheureuse que moi peut-être, car me voilà consolée et guérie rien que pour avoir parlé de celui qui sera mon protecteur ici-bas. C’est bien vrai, si messire Aubry voulait, je ne connaîtrais pas la tristesse ; s’il avait voulu, j’aurais ri de cette fantastique devise qui m’a glacé le cœur…

Elle n’acheva pas, et resta bouche béante. Jeannine qui lui tenait la main la sentit se glacer. Dans la position qu’elles occupaient toutes les deux, Jeannine tournait le dos aux croisées qui donnaient sur la cour intérieure de l’hôtel. Berthe, au contraire, les voyait par l’ouverture des rideaux. Jeannine aperçut comme une lueur qui passa dans la ruelle du lit.

— Là ! là ! fit Berthe dont le doigt crispé montrait la fenêtre. Là ! regarde là !

Jeannine se retourna vivement. Il n’y avait plus de lueur. La fenêtre était noire derrière les sombres plis de sa draperie.

Berthe laissa tomber sa tête sur l’oreiller.

— J’ai vu ! murmura-t-elle ; j’ai bien vu ! à moins que ma tête ne se perde déjà ! J’ai vu sur les carreaux des lettres de feu mobiles et qui allaient se rapetissant pour briller sans cesse