Page:Paul Féval L'Homme de fer.djvu/72

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mère bien honorée, au manoir du Roz, Si j’avais comme vous parcouru le monde…

— Vous êtes discret, mais moi, je suis clairvoyant : ce que vous ne voulez point dire, je l’ai deviné.

— Qu’avec vous deviné, mon compagnon ?

— Qu’auriez-vous besoin d’aller au loin ? Vous êtes ici au pays breton, dans une parterre de beautés…

— Eh bien, c’est vrai, j’ai choisi.

— Pourquoi choisir ? demanda messire Olivier froidement.

— L’une des deux au moins m’a choisi d’elle-même, murmura Aubry en qui s’exhalait la vanité implacable des dix-huit ans, mais un chevalier ne peut avoir qu’un amour ?

— D’où vient cette loi ?

— De Dieu.

— Et d’où vient Dieu ?

Aubry garda un silence épouvanté. Au dedans de son cœur, une voix lui conseillait de fuir.

— Dieu, répondit-il pourtant, vient de Dieu ; il est celui qui est.

— Voire ! fit le baron d’Harmoy qui se mit à rire.

Et comme Aubry ouvrait la bouche pour protester, il lui tendit la main bonnement.

— Pourquoi je vous affectionne, mon jeune sire, dit-il tout à coup, je n’en sais rien. Je m’étais fait serment à moi-même de ne jamais plus prendre la peine de combattre l’erreur, ce bâillon, ce bandeau qui étouffe et aveugle l’homme timide. Mais vous voici devant moi si jeune, si beau, si fier, et si trompé que ma résolution faiblit encore une fois. Il faut que vous m’écoutiez : l’heure me presse, mes paroles seront comptées.

Tout en parlant il semblait s’orienter au bruit lointain de la mer. Les chevaux marchaient sur ce terrain marneux, coupé de flaques d’eau salée, qui sépare la terre ferme des sables de la grande grève.

Aubry le regarda. Pour la seconde fois, il eut la pensée de fuir : c’était son bon ange qui lui soufflait cette pensée.