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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Peyrolles alla s’assurer que les laquais n’étaient pas aux écoutes et ferma les portes. Après quoi, il s’adressa à ses compagnons, du ton dont on transmet un ordre, sans y rien mettre de son autorité propre.

— Voici donc ce que monseigneur a décidé…

— Et je ne suppose pas, crut devoir interrompre Philippe de Mantoue, que l’un de vous ait la moindre objection à faire… Votre jeu, vous ne l’ignorez pas, est étroitement mêlé au mien ; vous connaissez l’adversaire et l’enjeu, inutile de vous dire qu’il faut gagner à tout prix la partie.

Les six hommes acquiescèrent d’une inclinaison de tête. Gonzague fit signe à son intendant de poursuivre.

— Dans un instant, dit celui-ci, nous allons quitter isolément cette maison, et demain soir, nous nous retrouverons sur la jetée de Douvres ; de là, nous gagnerons Paris. Mais il serait fou d’y arriver ensemble, votre le même jour. M. le prince et moi y seront les premiers et vous y arriverez par groupes de deux, plus ou moins tôt, suivant la distance et les événements qui pourraient hâter ou retarder votre marche. MM. de Batz et Oriol viendront sans doute les derniers…

— Bien trouvé, approuva Gonzague, Oriol a toujours le temps de commettre quelque maladresse.

Le gros traitant n’eut pas une protestation. Malgré sa grande envie de faire remarquer que, partout où il y avait eu des coups à recevoir, il ne s’était tenu que très peu en arrière des autres.

Quelque méchante langue, — celle de Nocé par exemple, — lui eût sans doute répliqué que ce peu avait toujours suffi pour le maintenir hors de la portée des lames.

Peyrolles reprit, continuant à détailler avec plaisir le plan conçu par lui :

MM. Montaubert et Taranne débarqueront en France par Cherbourg ; MM. Nocé et La Vallade par le Havre ; les derniers enfin, par Brest… Monseigneur et moi nous y pénétrerons par… Mais ceci vous importe peu et il vous suffit de savoir que demain, à Douvres, vous trouverez des barques qui vous déposeront respectivement sur les points désignés… Sitôt le pied posé sur le sol français, chacun aura sa vie à défendre et sera responsable de ses actes.

— Que pensez-vous de tout ceci, mes gentilshommes ? interrogea Gonzague en jouant avec le manche de son poignard.

— Jusqu’ici, déclara Montaubert, qui était le plus hardi de la troupe, je ne vois rien de bien difficile en cette affaire, sinon le moyen de n’être pas reconnus en arrivant à Paris.

Peyrolles eut ce sourire en dessous qui avait le don de porter sur les nerfs de tous.

— Patience, dit-il, en allant quérir dans le tas les robes de bures et leurs accessoires. Voici pour Oriol et son compagnon, qui s’en reviendront de pèlerinage à Sainte-Anne-d’Auray et devront, au long de leur route, se signer devant toutes les croix et mendier à tous les carrefours.

— Mentier, fit le baron de Batz, c’est engore bossible, mais tire tes bâtenôtres… Goment tiaple en infender ?

— Bah !… s’écria Gonzague en riant, tu les diras dans ta langue et personne n’y comprendra rien.

Les deux hommes s’affublèrent avec l’aide de l’intendant, qui leur soufflait en même temps :