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COCARDASSE ET PASSEPOIL

quelque distance ; j’en connais qui n’ont pas besoin de s’inquiéter de leur souper pour ce soir !…

— Nous les tenons, disait de son côté Blancrochet à son lieutenant Daubri. Va prévenir Gendry que les imbéciles viendront se fourrer eux-mêmes dans la gueule du loup.


VI

DES INTENTIONS DE BLANCROCHET


Les mémoires du marquis de Souches nous apprennent que le mot bretteur n’était pas absolument français.

Peut-être, dans son idée, cela voulait-il dire qu’il s’y trouvait une énorme quantité d’Allemands, d’Italiens, d’Espagnols et autres aventuriers de tous pays ? Au long de notre récit, nous en avons vu assez d’échantillons : Saldagne, Pinto, Pépé, el Matador, Giuseppe Faënza, Staupitz, le capitaine Lorrain, le baron de Batz, Palafox et Morda le Castillan.

Si M. de Souches ne parle pas de la nationalité, ses réflexions n’en sont pas pour cela plus flatteuses :

« Ce terme, dit-il, n’était pas tout à fait bon français, mais il était fort en usage pour signifier les gens qui font métier et marchandise de mettre l’épée à la main en toutes occasions bonnes et mauvaises, et à proprement parler des filous et des gens de mauvaise vie. »

Or, on laisse à penser l’aspect que devaient présenter les rues de Paris à cette époque, si l’on songe que J. de Bruge, dans son Art de tirer les armes, publié en 1721, accuse un chiffre de plus de dix mille bretteurs fréquentant les salles d’escrime et s’exerçant la main au dehors.

La ville était un vaste champ clos. Au coin des rues étroites, transformées en coupe-gorge, on assassinait par intérêt, par vengeance, ou simplement pour voler ; sur les voies les plus larges et les plus fréquentées, les boulevards par exemple, on n’entendait, à midi comme à minuit, que cliquetis d’épées tirées pour la gloire et quelquefois pour moins.

Pour les badauds, c’était un spectacle journalier et gratuit que celui de deux, quatre, parfois dix bretteurs, mettant flamberge au vent et s’embrochant suivant les règles et principes, souvent sans autre motif qu’une forfanterie ridicule déployée devant la galerie.

Quantité de ces gens habitaient le pays Latin, où ils se gaussaient des ordonnances, édits et règlements rendus publics, mais non exécutoires, qui s’étaient vainement succédé depuis 1567, « faisant défense aux escrimeurs et tireurs d’armes de s’établir dans le quartier de l’Université. »

Le difficile eût été de les en empêcher et pour cela il eût fallu raser les maisons où il leur plaisait de venir se loger. Le moyen était peu pratique. Moins pratique encore eût été de les expulser de Paris. Il est probable qu’ils eussent eux-mêmes, vu leur nombre et leur audace, chassé ceux qui se seraient permis de troubler leurs habitudes.