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COCARDASSE ET PASSEPOIL

transmettrait aux siècles futurs, dans ses Lettres historiques et galantes, le récit de ce duel épique qui eut lieu à la porte Montmartre.

Ce qui nous prouve que la gloire ne dérive parfois que des pattes de mouches griffonnées par la plume d’une femme.


VII

LE COMBAT DE LA PORTE MONTMARTRE


Mme Dunoyer, toute délicate et sentimentale qu’elle fut, n’eût peut-être pas, ce jour-là, donné sa place pour un fauteuil à l’Opéra. Elle pouvait, en effet, aller voir danser le ballet autant de fois que cela lui était agréable, tandis que le spectacle gratuit qui lui fut donné devant chez elle était de ceux dont on ne jouit pas souvent dans le cours d’une existence.

Cela ne lui déplut point, à en juger par ce qui nous reste de sa lettre, c’est-à-dire la première feuille, les autres pages ayant été dévorées par les rats au fond d’une vieille malle qui fut précisément léguée par héritage à un académicien.

Celui-ci eut plus de respect pour la prose de son ancêtre que n’en avaient eu le temps et les rongeurs. Il recueillit précieusement les débris de l’intéressante missive.

Or, voici ce qu’elle contenait :

« Il se passa sous les fenêtres de notre chambre un combat terrible où Blancrochet et Daubri, les deux plus fameux bretteurs de Paris, furent tués après la plus vigoureuse résistance. C’était à quatre heures après-midi. Tout le monde les regardait faire sans se mettre en état de les séparer, ce qui me surprenait beaucoup ; car à Bruxelles, d’où je viens, on est plus charitable que cela, et pour la moindre querelle on verrait tout un quartier en alarme : mais à Paris on est plus tranquille et on laisse les gens se tuer quand ils en ont envie… M. de Lubière d’Orange, M. de Roucoulle et mon oncle Cotton étaient à nos fenêtres lorsque cette scène se passait, et ils admiraient la bravoure de l’un de ces deux bretteurs, qui se défendait lui seul contre quatre de ses ennemis, dont un seul porta enfin un coup qui le fit tomber à quatre pas de là auprès du corps de son camarade. On les porta tous deux chez un chirurgien… »

Dans les pages qui suivaient et qui nous manquent, il était certainement question des prévôts Cocardasse et Passepoil, de Berrichon et de la bande de Gendry, ainsi que du quatrième adversaire simplement signalé plus haut et que nous allons nommer tout à l’heure.

Ces quelques lignes nous démontrent avant tout que la bagarre n’était pas de minime importance et méritait l’attention d’aussi hauts personnages. Toutefois maître Passepoil ne se douta probablement jamais que l’une des plus jolies transfuges de Bruxelles l’avait admiré en ce moment et que, toute frémissante encore de ce qu’elle venait de voir, elle s’était empressée d’en faire le récit.