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LA PEUR DES BOSSES

Peut-être cela avait-il mieux valu pour lui : l’inflammable prévôt eût été trop tenté de s’attacher aux beaux yeux fixés sur lui et sans doute qu’il eût moins bien vu venir les coups qui lui étaient destinés. Il est probable même que la face des choses en eût été changée.

Il nous faut donc attendre que nous lisions par-dessus l’épaule de l’auteur des « Lettres » ce qu’elle acheva de raconter tout au long, sans connaître comme nous les noms de tous les personnages et les raisons qui les faisaient agir.

Vers les trois heures de l’après-midi, quatre hommes étaient adossés à la maçonnerie de la porte Montmartre et s’entretenaient à voix assez basse pour n’être entendus ni des passants ni des flâneurs qui stationnaient autour d’eux. Ce qu’ils se disaient ne regardaient qu’eux-mêmes, disons toutefois qu’il n’y était nullement question d’œuvres pies.

Gendry, prévenu par Blancrochet que les prévôts allaient venir les trouver là, donnaient ses dernières instructions à sa bande et disait en ce moment :

— Je ne sais trop quel est ce blanc-bec qu’ils traînent derrière leurs chausses ; mais celui-là ne compte guère et il sera facile de l’expédier en deux temps. Dès qu’il aura mordu la poussière, j’attirerai Cocardasse avec l’aide de Jugan ; toi, la Baleine, tu as sur Passepoil l’avantage de la taille et de la force. Il te faudra nous en débarrasser proprement.

— Et moi ? demanda Raphaël Pinto.

— Toi, tu manœuvreras de façon à prendre l’un ou l’autre de flanc, alors qu’ils seront attentifs aux attaques qui leur viendront de face. Cependant, sous aucun prétexte, tu ne le frapperas par derrière ; ce serait nous mettre sur les bras tous les badauds et peut-être quelques amateurs qui nous regarderont travailler.

— S’il y a des mécontents, on les chargera, grogna la Baleine.

— Point du tout, répliqua Gendry. Il faut donner au combat une apparence loyale, malgré que nous soyons supérieurs en nombre. Ils se défendront d’ailleurs assez bien pour que la partie paraisse égale, et ne nous berçons pas de l’illusion que nous en aurons facilement raison. Je connais les coquins, ils ont le diable au corps.

Ils n’avaient pas achevé ces mots que les trois compagnons apparaissaient cent pas plus loin.

— Les voici, murmura Gendry. Vous avez bien compris mes ordres ?…

— Je n’ai pas peur, répondit la Baleine. Leur peau ne vaut plus cher à cette heure.

Si l’on eût pris la peine de le consulter sur ce point nous garantissons que tel n’eût pas été l’avis de maître Cocardasse, qui s’avançait de ce pas dégingandé spécial aux gens d’épée, dont l’habitude est de ployer les jarrets pour se fendre. Les crocs de ses moustaches terriblement relevés effleuraient le bord de son feutre, et sa main droite les tortillait encore, tandis que la gauche, appuyée sur la garde de sa nouvelle rapière, en relevait la pointe par derrière jusqu’au niveau de l’épaule.

À coup sûr, la corporation des traîneurs de rouillardes pouvait s’honorer de compter dans ses rangs maître Cocardasse junior. Depuis qu’il mangeait à bon râtelier et que des vêtements décents avaient remplacé ses loques, bien des œillades féminines passaient par-dessus la tête du pauvre Amable pour aller à son ami. En le voyant marcher, les harengères, poissonnières, regrat-