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COCARDASSE ET PASSEPOIL

ses longues jambes, grimpait presque aussi vite que Lagardère. Le bain désagréable qu’il venait de prendre ne l’empêchait pas de lancer quelques gasconnades, car il eût fallu bien autre chose pour lui clouer la langue.

— Ver !… grommelait-il ; de l’eau, cela me tourne le cœur !… Je ne tomberai donc jamais dans un lac de vieux vin de Médoc, où je n’aurai qu’à ouvrir la bouche pour boire à ma soif ?

Tandis qu’il formait ce vœu irréalisable, soudain il ressentit à l’épaule une violente douleur et releva la tête. Mal lui en prit, car son crâne résonna comme une grosso noix creuse sous un coup fortement asséné.

Alors, étourdi, perdant la notion exacte des choses, ne sachant d’où venait cette lâche attaque, ses doigts cessèrent de se cramponner, ses bras s’ouvrirent et il retomba dans le fleuve.

En même temps, pareille aventure arrivait à frère Passepoil. Mais celui-ci put voir, au-dessus du parapet, deux hommes penchés, une perche à la main, et qui, sous le fallacieux prétexte de la leur tendre, à Cocardasse et à lui, s’efforçaient de les assommer.

Il n’eut pas le temps de reconnaître leurs visages, préoccupé qu’il fut aussitôt de voir si le comte n’était pas exposé au même danger.

Il aperçut celui-ci qui avait atteint le sommet et enjambait le parapet, tandis qu’un nouveau coup sur les mains l’obligeait lui-même à lâcher prise pour replonger dans l’eau tourbillonnante.

Arrivé sur le pont, Lagardère se pencha et n’aperçut plus que Berrichon auquel des gens secourables prêtaient assistance. Qu’étaient devenus les autres ?

Il se le demanda avec anxiété et les chercha dans les groupes, avec pensée qu’ils s’étaient tirés d’affaire avant lui. Mais il ne vit rien que des figures inconnues et deux personnages, — des bateliers qui eussent été mieux à leur place sur le Pont-Neuf, — qui le dévisagèrent en passant et s’éloignèrent d’une allure rapide.

Il n’avait pas le temps de s’arrêter à leur mine suspecte, trop intéressé qu’il était à voir ce qui se passait dans la rivière.

Fort heureusement, pendant ces incidents, des gens avisés avaient couru détacher des barques et se portaient au secours des prévôts qui barbotaient maintenant sans raison et allaient bel et bien se noyer.

Après un formidable plongeon plein de dangers, car ils pouvaient se heurter aux pilotis du pont, Cocardasse et Passepoil avaient reparu à la surface. Devinant qu’on venait à leur secours, ils n’avaient plus d’autre souci que de se maintenir sur l’eau.

Bientôt ils furent recueillis, ramenés au bord, ruisselants et piteux. La foule s’empressait autour d’eux, mais ils ne songeaient à remercier personne.

Quand ils furent convaincus que Lagardère et Berrichon étaient sains et saufs, l’expression de joie qui illumina leurs visages ne tarda pas à disparaître pour faire place à celle de la colère.

Maître Cocardasse était profondément vexé d’avoir bu deux ou trois gorgées d’eau malsaine et de couleur douteuse, qui lui pesait sur l’estomac. Pour frère Amable, dès qu’il fut parvenu à se tenir debout, son premier mouvement fut de dégainer et de parcourir les groupes, en inspectant chaque visage. Tous ceux qui étaient là s’étaient employés à son sauvetage et croyaient avoir droit à autre chose qu’à sa fureur ; aussi beaucoup d’entre eux le crurent-