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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— Soit ! avait-elle répondu en toussotant.

Et pour prouver qu’elle n’était pas dupe du petit manège, elle s’était permis d’ajouter :

— Combien cela te rapporte-t-il, mon père ?

— Peuh ?… de quoi me faire enterrer décemment…

— Et à M. de Longpré ?

— Un équipement complet, plus quelque monnaie de poche pour aller dans les Flandres… Pourquoi ces questions, trésor ?

— Trésor !… c’est dire vrai… Tout simplement pour savoir combien il me faut m’estimer moi-même… Va dire au cadet que je l’agrée… Dès le lendemain des noces, je ferai courir après lui pour qu’on lui remette mon corset qu’un prince aura délacé…

On se plaint de nos jours qu’il n’y ait plus d’enfants. N’en fut-il pas toujours ainsi ?… L’enfant mignon, menu, pimpant, coquet, qu’était Mlle  Liane de Ravolle, fut paré, choyé, admiré, caressé tout un jour, et se maria au cloître Saint-Séverin. M. de Longpré ramena sa femme jusque chez son père, la baisa au front, poussa un grand soupir et, dès que le jour eut commencé à baisser, il enfourcha son cheval tout sellé qui l’attendait dans la cour. Jamais on ne le revit.

Le lendemain, la pauvrette pleura beaucoup devant ses amies ; on maudit fort monseigneur le Régent pour l’ordre cruel qu’il avait donné à M. de Longpré de rejoindre son régiment le soir même de ses noces et l’on s’habitua a ne pas le voir revenir.

Liane, qui pleurait au dehors, riait très fort au dedans. Elle n’en avait pas moins été femme au moment voulu, et rien ne l’empêcherait de mettre au monde quelques petits princes. Philippe de Mantoue, à son réveil, lui en avait promis au moins un.

Il ne tint pas sa promesse, mais tint au moins sa langue. On ne connut pas ses amours avec Mme  de Longpré et celle-ci les rompit la première. Elle y avait rempli son escarcelle sans y trouver d’autre plaisir et ne tarda pas à souhaiter que son mari revint. Par malheur, il était mort d’une arquebusade et, ne l’ayant pas connu, elle n’eût guère à le pleurer.

Sous prétexte de la consoler d’un chagrin qu’elle ne ressentait pas, — et comme on ignorait ses petits péchés, — on l’accueillit partout. Force lui fut de retrouver son rire. Pendant ce temps, elle avait appris à réfléchir, à songer et même à envier. Il se passait de singulières choses dans sa tête d’oiselet mignon et la baronne de Longpré à l’école de Gonzague ou ailleurs, avant d’avoir vingt ans, était devenue la plus dangereuse petite rouée qu’on pût rêver.

Elle que, pendant un temps et de toutes parts, on s’était efforcé de consoler s’était mis dans la cervelle d’atténuer le chagrin d’Aurore, usant à son égard des cajoleries dont on l’avait bercée naguère.

La cérémonie du mariage mise à part, elle prétendait que leur situation présentait une analogie frappante. Le fiancé de Mlle  de Nevers était éloigné, de même qu’on avait éloigné son mari à elle ; or, avec beaucoup de bonne volonté, on pouvait rapprocher ces circonstances.

Là s’arrêtait la similitude. La petite baronne ne songeait point que le départ précipité de Lagardère eût eu les mêmes raisons, ni les mêmes conséquences pour Aurore que pour elle ; elle n’admettait pas davantage que le