Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
LA PEUR DES BOSSES

comte dût mourir d’une arquebusade ; mais elle s’entêtait quand même, en entendant soupirer Aurore pour son fiancé, à croire que pareille chose lui était arrivée et qu’elle avait soupiré pour M. de Longpré.

Si c’eût été simplement chez elle de l’illusion, le mal n’eût pas été bien grand. Au fond d’elle-même, elle s’avouait que c’était autre chose. Par un sentiment plus fréquent qu’on ne pense chez les femmes, elle enviait Mlle  de Nevers pour la réalité de ses peines, alors que les siennes propres n’avaient été qu’un trompe-l’œil.

En résumé, elle l’aimait et la haïssait en même temps. Pas assez cruelle pour oser elle-même lui faire du mal, elle était quand même tourmentée du désir pervers de la voir souffrir. Si elle l’accablait de caresses et de marques d’affection, c’était en faisant patte de velours, comme les chats, et en réfrénant une envie folle de lui labourer le visage avec ses-ongles.

Aurore parut d’abord indifférente à son égard ; la pauvre fleur repliée sur elle-même qu’elle était, s’accommodait mal de ce caquet et de cette exubérance. Mais il semblait que tout le monde s’entendît pour la lui jeter à la tête.

Le marquis de Chaverny et Mme  de Saint-Aignan, croyant sincèrement que cette écervelée était seule capable d’apporter un dérivatif à la mélancolie de la jeune fille, ménageaient entre elles de fréquentes entrevues. Flor elle-même s’était avisée que cette gaieté bruyante, en tiers dans leurs éternels tête-à-tête, serait d’un heureux effet sur l’esprit de son amie. Mme  de Nevers, la sagesse même, n’avait pas tardé à se ranger, elle aussi, à l’opinion de tous.

Une sorte de lien s’était donc établi entre ces trois enfants de même âge, dont la grande préoccupation était un amour contrarié. Car Mme  Liane de Longpré avait pour celui qui n’avait été son mari que de nom, une sorte de tendresse posthume, elle le croyait du moins, et c’était encore une cause de jalousie pour elle que de voir le culte d’Aurore voué à un objet réel, quand le sien n’était qu’illusoire.

L’envie ne lui manquait pas non plus de se fiancer pour de bon et d’aimer de tout son cœur. Mais ce qui attirait vers elle la foule des soupirants, c’était encore moins sa beauté que sa réputation d’épouse vierge dont s’auréolait sa mutinerie.

Au fond de sa conscience, Liane savait parfaitement ce que valait cette auréole ! L’ancienne maîtresse de Gonzague ne pouvait épouser qu’un niais, or ce n’était pas cela qu’elle voulait.

De même qu’elle avait préféré un prince à un cadet de Guyenne, elle tenait pour indignes de sa main tous ceux qui n’étaient pas à la hauteur d’un Lagardère ou d’un Chaverny.

Il n’y avait qu’un Lagardère, et c’était pour Aurore ; qu’un Chaverny, destiné à doña Cruz. La petite baronne avait beau chercher autour d’elle, parmi les pourpoints de soie et les perruques poudrées : elle y trouvait beaucoup de petits maîtres et pas l’ombre d’un héros.

Pour en bien connaître le modèle, elle s’était fait raconter par Flor, par Chaverny et par la marquise de Saint-Aignan, les moindres phases de la vie d’Henri. La même tentative avait échoué auprès d’Aurore, pour qui l’existence de son fiancé était un livre d’or enfoui dans son cœur, fait d’admiration, de reconnaissance et de tendresse, et qui se résumait en deux mots : Je l’aime !

Mlle  de Nevers aimait à entendre dire des louanges de Lagardère, exalter