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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

galant, mais peu dangereux : son parent, par exemple, le baron de la Hunaudaye.

Le plus souvent, elle y venait seule. Son esprit curieux et indépendant lui faisait préférer à la société d’un phraseur accroché à ses jupes et l’assommant de ses madrigaux, la liberté d’aller où il lui plaisait, son petit nez rose au vent.

Jeune fille, elle ne l’eût pas osé peut-être ; mais sa situation particulière le lui permettait, elle en usait largement.

Ce jour-là, n’étant pas allée à l’hôtel de Nevers, elle avait tout naturellement dirigé ses pas vers le célèbre champ de foire, autant pour y chercher quelques distractions, que pour tromper son besoin d’activité. En effet, depuis la résolution qu’elle avait prise de retrouver le prince auquel elle s’était passivement donnée, le soir de ses noces, Liane éprouvait l’impérieuse nécessité de dépenser ses forces, et se livrait à tous les exercices physiques permis aux femmes, pour donner au moins la lassitude en pâture à son agitation.

Certes, ce n’était pas en ce lieu qu’elle espérait rencontrer Philippe de Mantoue, sachant bien qu’il était exilé et que c’eût été fou de sa part de se venir promener en plein Paris et dans l’endroit de Paris où mille personnes pour une eussent pu le reconnaître à première vue.

Et cependant, à chacun de ses pas elle levait la tête, comme si parmi ces quantités de visages qui paraissaient et disparaissaient, à peine entrevus, allait surgir soudain celui qu’elle attendait.

Bientôt, elle fut lasse ; ses petits pieds mignons, qui eussent tenu dans la main d’un enfant, n’étaient pas accoutumés à cette fatigue du piétinement incessant.

Elle avisa tout à coup le cabaret dont la porte était béante devant elle et, comme elle n’avait d’autre règle que sa volonté, rassemblant ses jupes, elle s’y engouffra.

Tout d’abord Liane ne vit rien que l’ensemble des yeux qui la regardaient. Il lui sembla étrange de se trouver là, devant tous ces regards braqués sur elle. Mais n’avait-elle pas l’habitude d’être admirée ?… Son minois fûté, malin, on nez agaceur, ses petits yeux pétillants, jusqu’au bout de sa langue rose qu’elle passait à chaque instant sur ses lèvres fraîches, tout cela n’attirait-il pas l’attention sur elle partout où elle allait ?

Enfin, avisant une place libre, elle glissa à travers les rangs, comme dans une mesure de pavane, sautilla, voleta et se trouva assise… ouf !…

Plus à son aise à son tour, elle regarda ceux qui l’entouraient : à droite, un procureur au Châtelet ; à gauche, un singulier personnage, qui semblait en refléter un autre dont la mise était à peu près la même, à quelques détails de luxe près ; plus loin, deux ou trois figures de soudards qu’il lui semblait avoir déjà vues ailleurs, et des femmes.

Les rayons de ses yeux inspectèrent circulairement toute la salle et ne rencontrèrent pas un seul visage familier. Alors elle se rassura, tapota sa robe du bout de ses doigts pour en harmoniser les plis, regarda dans son minuscule miroir de poche si tout était bien en place : ses frisons, sa poudre et ses mouches. Ces préparatifs achevés, elle commanda un sorbet à la glace qu’elle commença à déguster en gourmande, avec un happement de la langue.

À l’entrée de Mme  de Longpré, Philippe de Mantoue avait tressailli.

Quand elle vint s’asseoir auprès de lui, il eut une sorte de recul et se tourna