Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
COCARDASSE ET PASSEPOIL

de trois quarts, de façon à ne pas présenter son visage, juste assez pour ne pas être impoli.

Le souci de déguiser sa voix vis-à-vis des prévôts l’empêchait d’être communicatif ; aussi, la Nivelle essayait-elle vainement de le dérider. Elle avait imaginé de lui faire promettre qu’il viendrait le soir à l’Opéra, lui avait indiqué à quel moment elle danserait, quel rôle elle tiendrait ; il la reconnaîtrait d’ailleurs au signe qu’elle lui ferait : trois fois les deux premiers doigts de sa main gauche réunis et appuyés sur ses lèvres.

Mais il avait répondu qu’il n’était pas certain de pouvoir aller à l’Opéra le soir même, et paraissait moins préoccupé des avances de cette femme que des questions posées aux prévôts par Peyrolles dont l’audace nouvelle le surprenait.

Celui-ci, en effet, sous couleur de les combler de louanges pour toutes les actions d’éclat qu’ils avaient certainement accomplies, s’efforçait de les faire causer.

Passepoil, se méfiant de la loquacité de son ami, lui écrasait le pied sous la table, l’empêchant à chaque instant de répondre, car la qualité d’étrangers de leurs interlocuteurs ne suffisait pas à endormir sa défiance. Trop de fois il avait eu à constater qu’il faut tenir sa langue, même devant les gens les moins suspects ; aussi, prudent pour deux, se jugeant responsable des paroles malencontreuses qui échapperaient à Cocardasse, il entendait l’obliger au silence.

Grâce au serment prêté solennellement sur la garde de Pétronille, il croyait posséder maintenant un moyen magique pour arrêter la langue du Gascon au moment où il le faudrait.

En effet, il avait été entendu entre eux, que celui-ci se tairait chaque fois que Passepoil, par un signe convenu, lui montrerait la garde de sa propre épée.

Mais lors de la conclusion de cette entente, frère Amable n’avait pas prévu qu’il rencontrerait Cydalise et que la grosse danseuse absorberait assez son attention pour lui faire oublier de surveiller son noble ami.

Le terrible bavard n’avait cependant encore commis aucun impair. C’était loin de faire l’affaire de Peyrolles, si loin même que celui-ci résolut de presser ses questions davantage, dans l’espoir d’apprendre, par une simple indication, ce qu’était devenu le bossu.

Profitant d’un moment où le Normand, très entrepris par sa compagne, semblait être incapable de l’entendre, il demanda d’un air indifférent, poursuivant la conversation commencée :

— Qu’était-ce que ce régiment de Royal-Lagardère ?… Et qui le commandait ?…

— Té !… le comte Henri de Lagardère, parbleu !… Le reste se composait de quatre hommes, dont le petit et moi… Cela passait partout, bagasse, dans l’eau, le feu, le fer… même dans l’air…

— Pourquoi l’avez-vous quitté ?… le comte aurait-il été tué quelque part ?

— Troun de l’air ! on ne le tue pas, celui-là !

— Alors qu’est-il devenu ?

Le Gascon ne répondit pas sans avoir regardé la rapière de Passepoil et ce fut celui-ci qui prit la parole.

— Il court le monde… où… Nous serions bien aises de le savoir.

L’intendant, comprenant qu’il n’y avait pas grand’chose à tirer des pré-