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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

vôts, de quelque façon qu’on pût s’y prendre, se demanda s’il fallait poursuivre son interrogatoire jusqu’à devenir indiscret, ou bien y renoncer complètement.

Son hésitation fut comme le signal d’une petite scène bien étrangère à ses soucis : scène après laquelle il ne devait plus lui être possible de reprendre ses questions.

En entendant prononcer le nom de Lagardère, plus apte que tout autre à frapper ses oreilles, la baronne de Longpré s’était vivement penchée pour voir de quelles lèvres il était sorti, et ça avait été pour elle un trait de lumière ; elle s’était soudain souvenue avoir vu quelques-uns de ces hommes à l’hôtel de Nevers.

De son côté, Cocardasse, l’ayant aperçue, avait jugé à propos de lui faire un profond salut, auquel elle s’était abstenue de répondre.

Jusque-là rien que de très naturel et les choses n’eussent pas été plus loin si Jean-Marie Berrichon, qui, se rappelant sans doute avoir eu le monopole des indiscrétions et des gaffes, languissait de ne pas en avoir commis depuis longtemps, n’avait dit assez haut en poussant le coude d’Amable :

— Je suis bien certain pourtant que c’est bien là l’amie de Mlle  Aurore.

Ces quelques mots passèrent inaperçus de la plupart des auditeurs, et pourtant ils étaient gros de conséquences.

Philippe de Mantoue, lui, ne les avait pas laissés tomber, en saisissant toute la valeur, bien qu’ils n’eussent aucune portée pour Peyrolles ; aussi, cette fois se tourna-t-il franchement du côté de la baronne, sachant bien être assez maquillé et grimé pour ne pouvoir être reconnu d’elle.

Il eût voulu maintenant voir tous les autres s’en aller, car il lui semblait bien qu’il avait quelque chose à dire à l’amie de Mlle  de Nevers.

L’attention qu’il se prit à marquer à la nouvelle venue provoqua aussitôt la jalousie de la Nivelle, et redoubla son désir de l’accaparer pour elle seule.

— Vous avez là, monsieur, lui dit-elle en minaudant, une fort jolie bague. Soyez donc assez aimable pour me la montrer de plus près.

Tout en parlant, la danseuse s’était emparée de la main du prince et considérait avec attention le bijou. C’était une pierre noire peu volumineuse, sertie jadis à Venise dans un anneau qui contenait un secret. Philippe de Mantoue ne se souvenait pas l’avoir jamais révélé à personne.

— Elle est plus étrange que belle, répondit-il, dans le but de modérer l’admiration exagérée de sa voisine. Elle n’a d’ailleurs de valeur que celle que certains peuvent y attacher.

— Dans ce cas offrez-la moi, soupira la Nivelle, de cette façon basse dont quémandent les courtisanes.

Le prince fronça les sourcils :

— Je regrette vivement de ne pouvoir vous être agréable, dit-il, mais cette bague a une destinée, laquelle ne peut s’accomplir que par moi.

— Je l’aurais gardée jusqu’à la fin de mes jours, murmura la belle, convaincue de l’inanité de toute nouvelle insistance ; puisqu’il en est ainsi, je ne saurais vous en priver.

En dépouillant sa fortune, Gonzague n’en avait pas perdu pour cela ses allures de grand seigneur et c’était inutile de gratter le marchand pour retrouver le prince. Il tira de son doigt une autre bague charmante qu’il tendit à la cupide hétaïre en lui disant :