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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

de changer en protestations de dévouement la mauvaise humeur du bonhomme. Puis il ajouta :

— Je ne suis pas venu pour cela seulement… Vous allez me promettre de me faire prévenir immédiatement à l’hôtel de Nevers au cas où ces gens reparaîtraient ici… S’il vous arrivait de ne pas tenir compte de cette prière, il vous en cuirait à coup sûr, monsieur de Lamotte.

— Je le ferai, monsieur Berrichon, je le ferai, je suis tout entier à vos ordres.

— Il suffit… Ne l’oubliez pas et au revoir.

Dès la porte fermée, les badauds s’étaient dispersés ou avaient été bavarder un peu plus loin. Jean-Marie put sortir de l’hôtel sans encombre et rejoindre les deux maîtres d’armes qui l’attendaient sur la place des Victoires.

— Les coquins ont déguerpi pour ne pas revenir, leur dit-il, il va falloir encore les chercher ailleurs.

Lagardère, auquel on rapporta cette nouvelle, n’en fut pas surpris. La démarche de Berrichon rue Montmartre, d’ailleurs, n’avait d’autre but que de dédommager l’hôtelier des pertes subies au cours du siège de la précédente nuit. Il n’en fallait pas moins reprendre de nouvelles recherches durant lesquelles le temps passerait, les jours s’ajouteraient aux jours, laissant subsister cette énervante situation.

Toute sa vaillance s’émoussant dans ces escarmouches, Henri était près de perdre courage. Après de si nombreuses tentatives où il avait joué sa vie, la question n’était pas résolue, ne le serait pas tant que la cause même du mal n’aurait pas disparu.

Ce matin-là, il était profondément triste. En le voyant passer ainsi, le front penché, Aurore se souvint des jours lugubres d’Espagne où il était prêt à mourir ; où, devant le prêtre, il parlait de l’emmener avec lui dans l’autre monde, tandis qu’elle lui répondait : « Ami Henri, je n’ai pas peur de mourir et je veux bien aller avec toi. »

Des années avaient passé depuis lors : elle avait grandi, aimé, l’autel les attendait tous deux, et la même barrière, c’est-à-dire le même homme, se dressait toujours devant eux, sans qu’il fût possible de l’anéantir.

Aurore, se lamentant de voir souffrir son fiancé, était prête à lui dire comme jadis :

— Ami Henri, je n’ai pas peur de mourir. Si nous ne pouvons être unis l’un à l’autre, le bonheur semblant ne pas vouloir de nous, allons-nous-en de ce monde, la main dans la main.

Flor, toujours aux aguets, s’aperçut dans quel abîme de tristesse allait sombrer leur cœur. C’était à elle, la vaillante, dont l’amour s’attisait encore de la longue attente, c’était à elle à ranimer le flambeau, à stimuler les courages.

Pour atteindre ce but, rien ne valait, à son avis, un pieux pèlerinage à la chapelle funéraire de Philippe de Lorraine. Lagardère y puiserait de nouvelles forces pour l’exécution de son serment ; Aurore y sentirait se raffermir sa volonté et Mme de Nevers y trouverait la patience nécessaire pour attendre l’échéance. Tous s’en reviendraient l’âme plus haute et plus fière, espéreraient davantage en la justice de Dieu.

— Les morts parlent quand ils le veulent, leur dit l’ancienne gitana. Le duc Philippe a parlé naguère pour confondre Gonzague… Je vous réponds qu’aujourd’hui vous entendrez sa voix, vous disant de reprendre courage.

— Vous avez raison, mon enfant, lui répondit Mme de Nevers, en la pres-