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Page:Paul Féval fils-Cocardasse et Passepoil, 1922.djvu/186

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COCARDASSE ET PASSEPOIL

sant contre sa poitrine. Écouter ceux qui ne sont plus, est fortifiant à l’âme ; leur obéir, c’est s’assurer la victoire… Mes enfants, allons prier au tombeau du duc Philippe de Nevers !

Une heure après, un carrosse s’arrêtait auprès de l’église Saint-Magloire et quatre femmes en descendaient. Mme de Nevers et sa fille, doña Cruz et Mme Liébault. Lagardère, Chaverny et leurs compagnons habituels avaient marché aux portières, encadrant la voiture.

Aurore pâlit en revoyant le lieu où elle était venue en robe de mariée, attendre son fiancé, marchant au supplice. En une seconde, mille souvenirs doux et terribles vinrent assaillir son esprit ; elle se demanda si tout ce qui s’était passé depuis n’était pas un cauchemar ; si comme jadis, elle n’allait pas, prosternée au pied de cet autel, entendre les murmures lointains de la foule accompagnant le condamné à mort. Elle ne se souvint plus de ce qui avait eu lieu, de son enlèvement par Gonzague, des tortures physiques et morales supportées en Espagne, et plus tard, à Paris, depuis son retour ; elle oublia sa joie d’avoir été sauvée, reconquise, d’avoir retrouvé Henri et sa mère et, dans une minute atroce, elle revécut l’heure douloureuse qui s’était écoulée pour elle dans cette même église Saint-Magloire, où elle n’était pas revenue depuis lors et dont elle allait à nouveau fouler les dalles.

Henri la vit chanceler, prête à s’abattre sur les marches et il étendit son bras pour la soutenir. Alors seulement à ce contact, sentant le visage du bien-aimé tout près du sien, elle put lire dans ses yeux et jusqu’au fond de son cœur ; elle se ressaisit, regarda la croix de pierre sculptée au portail, le Christ qui avait souffert encore plus qu’elle. Alors lentement, au bras du comte, elle monta les degrés, le front auréolé maintenant d’un rayon d’espérance.

Elle marcha droit jusqu’au pied de l’autel, là où elle s’était agenouillée jadis, où les larmes qui avaient coulé de ses yeux étaient faites du plus pur sang de son cœur.

À côté d’elle, sur le pavé nu, la veuve de Nevers meurtrissait ses genoux et offrait sa douleur en holocauste pour que son mari fût vengé et sa fille heureuse. Flor priait pour tous et pour elle-même, et Mme Liébault implorait le ciel, confiait à Dieu seul le secret de son cœur.

Derrière les autres femmes, un genou à terre et le front courbé, s’inclinaient ceux qui avaient mission de les défendre.

Si Cocardasse et Passepoil avaient depuis longtemps oublié toute prière, ils n’en avaient pas moins conscience, en voyant Lagardère se prosterner devant Dieu, de l’existence même de ce Dieu. Et dans leur âme simple, ils lui demandaient à leur façon le bonheur de ceux à qui ils s’étaient donnés corps et âme.

Mais si Dieu avait sa part, le diable avait aussi la sienne. Un cul-de-sac sans nom, sur lequel donnait l’ancienne Folie-Gonzague, — au temps où Gonzague avait le droit d’en avoir une, — reliait l’une des entrées latérales de l’église avec la rue Saint-Magloire.

On passait rarement dans ce lieu, même de jour, et il était facile de s’y embusquer, à l’abri du mur du cimetière, sans grand risque d’être vu.

Or, au moment même où Mme de Nevers, sa fille et ses amis franchissaient le portail de l’église, la petite porte qui donnait accès dans le jardin de la Folie-Gonzague tourna doucement sur ses gonds. Philippe de Mantoue, et son factotum, se glissant avec précaution, franchirent l’étroit espace qui les