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COCARDASSE ET PASSEPOIL

Il avait été décidé, en effet, que chacun viendrait se prosterner à tour de rôle aux pieds du roi et lui prêter serment de fidélité.

Les amis de Philippe d’Orléans escomptaient depuis longtemps les paroles qu’il prononcerait à leur égard en cette circonstance, et en augurant toutes sortes de faveurs pour l’avenir.

Louis XV les en tint quittes et après les avoir remerciés en quelques phrases courtes, apprises par cœur le matin avec l’aide du cardinal Fleury, il se pencha vers le Régent :

— Mon cousin, lui dit-il, veuillez instruire ces messieurs de Notre désir.

Le duc d’Orléans se leva. Un grand silence se fit. L’assistance ne se doutait guère de ce qu’il allait dire, les premiers mots stupéfièrent tout le monde. Il s’agissait de faire, au mariage de Lagardère, une manifestation imposante et sans précédent dans l’histoire.

C’était l’agrément royal.

Les vieux crânes oscillèrent de droite à gauche ; leurs propriétaires ne pouvaient en croire leurs oreilles.

Le roi certes avait raison, à leurs yeux, mais tout cela était si en dehors de l’étiquette et des usages de la cour qu’ils en demeuraient stupéfaits, la bouche en O.

Par contre, tout un clan, formé des têtes les plus fières et les plus audacieuses, était suspendu aux lèvres de Philippe d’Orléans et se demandait si, après le grand Louis XIV, allait en surgir un plus grand encore, dont ce premier acte du jeune roi était le prélude.

Tous connaissaient au moins les faits et gestes de Lagardère et beaucoup le connaissaient lui-même. Le maréchal de Berwick et le prince de Conti savaient à quoi s’en tenir sur son compte ; M. de Riom et les colonels qui avaient guerroyé en Espagne eussent pu renseigner les autres ; le marquis de Saint-Aignan les y eut aidés, de même que le maréchal d’Estrées ; et si Maurice de Saxe ne demandait rien, sa religion n’en était pas moins suffisamment édifiée.

Si Philippe d’Orléans eût prié les amis de Gonzague de lever la main, le total se fût chiffré par zéro. Et pourtant devant ces trois cents personnes, qui, derrière le roi et le Régent, marchaient à la tête de la France, Philippe de Mantoue aux abois allait tenter de consommer son dernier crime.

En ce moment même, il le préparait savamment, car tout en ignorant quel cortège imposant et nombreux allait amener avec lui le roi, s’il venait à Saint-Magloire, il ne s’en dissimulait pas moins les difficultés certaines.

Gonzague avait l’esprit organisé pour le mal et si parfois il faisait appel aux lumières de Peyrolles, son disciple en perfidie, ce n’était que dans les cas d’importance secondaire.

Quand la situation était grave, — et jamais elle ne l’avait été davantage, — il s’en rapportait à lui seul. Après avoir ourdi la trame, il ne se contentait plus alors de faire agir ses comparses : il agissait lui-même.

Ainsi avait-il fait dans les fossés de Caylus, puis le soir de l’enlèvement d’Aurore, une ou deux fois en Espagne et récemment à la foire de Saint-Germain.

Ce soir, il allait jouer son va-tout, c’était bien le moins qu’il eût mis la main à la pâte.

Il l’y mettait, pour l’instant, avec plus de duplicité encore que d’ardeur.