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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

Assis à sa table, il venait d’écrire deux billets très laconiques : deux ou trois mots seulement sur chacun d’eux.

Ce n’était pas son testament qu’il venait de faire là : il y eût eu plus de lignes et son paraphe au bout. Gonzague n’avait pas signé et l’écriture d’un billet ne ressemblait pas à celle de l’autre, de même que l’écriture des deux n’était pas l’écriture habituelle du prince. Il l’avait si bien contrefaite qu’après l’avoir contemplée sur les deux feuillets séparés, il parut satisfait de lui-même et sourit comme on mord. La vie de deux êtres humains, peut-être plus, était sans doute à la merci des lignes tracées sur ces chiffons de papier, vrais cartels de mort.

Il les plia en quatre, y mit une suscription et les glissa dans son pourpoint.

Gonzague était vêtu tout de noir. Il était sinistre, avec sa figure blême, tranchant sur ses vêtements aussi sombres que son âme.

Tout le jour, il avait arpenté sa chambre, venant s’asseoir, de temps en temps, posant son front dans le creux de sa main et restant ainsi, de longs quarts d’heure, à méditer sa vengeance, à distiller sa haine.

Faisait-il donc un retour sur lui-même, estimant la tâche trop lourde, calculant qu’il serait brisé ? Non… Pour cela, l’orgueil parlait trop haut chez lui et quand on a, dans le crime, passé certaines limites, on ne revient pas en arrière… Il faut aller toujours plus loin, descendre encore plus bas : le crime vous pousse et ceux-là s’arrêtent seuls que ronge le remords : le remords n’avait pas de prise sur Gonzague.

Parfois il songeait en voyant se plisser le front de ses roués, car ceux-là y étaient encore accessibles. Alors il les fouaillait de son mépris et de ses insolences, leur montrant qu’il était trop tard pour se repentir, et les entraînait de nouveau dans son sillage de sang. Nous l’avons vu user de ce moyen le matin même.

Peyrolles seul, à ce point de vue, était digne de son maître : il regardait vers l’avenir, sans jamais un retour vers le passé. Ou si parfois il se remémorait le chemin parcouru, c’était pour constater les ornières qui l’avaient fait trébucher et les éviter désormais.

Dans cet après-midi, sorte de veillée des armes pour Philippe de Mantoue, son lieutenant faisait auprès de lui des apparitions fréquentes et le tenait au courant de tout ce qui se passait au dehors.

Vers deux heures, l’intendant encadra sa silhouette osseuse dans l’entre-bâillement de la porte et regarda méditer son maître. Celui-ci ne l’avait pas entendu venir ; il restait plongé dans ses réflexions, la tête au creux de ses mains.

Peyrolles le contempla et son regard était éloquent. Entre ces deux hommes liés par une longue suite de crimes, il n’y avait ni affinité ni confiance. Si l’un était le maître et l’autre le valet, c’est que celui-ci n’avait pas encore trouvé le moyen de renverser les rôles ou de n’avoir plus de maître. Il estimait n’avoir plus guère à attendre pour en arriver là et sa bouche se contracta dans un sourire où se refléta tout l’ignominieux état de son âme.

Gonzague avait devant lui un miroir d’argent. Il vit Peyrolles.

Le sourire de celui-ci creusa entre eux un irrévocable abîme et Philippe de Mantoue put s’assurer une fois de plus qu’on peut dompter les fauves, qu’on ne se les attache jamais. Tôt ou tard leur dent toujours prête à dé-